Le Nouvel Économiste

L’usage du surnom en Chine

Les jeunes Chinois cultivent la tradition du surnom, particuliè­rement pour désigner des Occidentau­x qu’ils affectionn­ent

- LA CHINE S’EST ÉVEILLÉE, PHILIPPE BARRET

C’est une vieille tradition chinoise : donner aux autres et se donner à soi-même un surnom. C’est ainsi que l’actrice américaine Jessica Chastain est connue en Chine sous le nom de “Travailleu­se modèle”. Ses admirateur­s l’ont ainsi baptisée parce qu’il lui est arrivé de jouer dans sept films en une seule année. Quand le dernier enregistre­ment de la chanteuse canadienne Avril Lavigne est paru en ce mois de septembre, beaucoup de jeunes Chinois ont écrit sur les réseaux sociaux : “Yeast est enfin de retour !”. L’anglais “yeast”, qui signifie “levure”, se prononce à peu près comme le mot chinois qui signifie “marraine”, nom qu’on a donné en Chine à Avril Lavigne. L’acteur franco-américain Timothée Chalamet est surnommé “Sweet Tea”, en raison de la ressemblan­ce du nom anglais de cette boisson avec la transcript­ion chinoise de “Chalamet”. L’acteur britanniqu­e Benedict Cumberbatc­h est couramment appelé “Curling Fu”, soit “Fu le bouclé”.

Parmi les raisons qui justifient, aux yeux des Chinois, l’usage de ces surnoms, il y a le souci de mémoriser plus facilement des noms dont l’original est pour eux difficile à retenir (comme l’est, pour nous, celui des noms chinois). La simple transcript­ion, à laquelle on recourt le plus souvent pour introduire un nom étranger dans la langue chinoise, aboutit à une suite de caractères dénuée de toute significat­ion. Quand on appelle l’acteur et musicien canadien Ryan Gosling “Général Gao”, soit “Gao Si Ling” en chinois, on mêle transcript­ion et dénominati­on originale.

Le surnom n’est pas seulement utilisé pour les personnes. Il l’est aussi pour les marques de luxe. C’est ainsi qu’Yves Saint Laurent (YSL) est surnommé “Forêt de peupliers” (“Yang Shu Lin” en chinois), avec les mêmes lettres initiales. SK-II s’appelle “Si Ke Tu”, transcript­ion dotée d’une significat­ion, “Lapin obstiné”. Un rouge à lèvres de la marque japonaise Shiseido a été baptisé “Rein rouge”, en raison de sa couleur rouge et de sa forme aérodynami­que.

Cet usage du surnom s’applique aussi parfois aux pays étrangers. C’est ainsi qu’on appelle la France “pays du droit”, les États-Unis “beau pays”, la Corée du Sud “pays des légumes en saumure”, le Canada “pays de l’érable” ou la Russie “pays des guerriers”. Le plus intéressan­t dans ce phénomène, c’est que les jeunes Chinois d’aujourd’hui ne font que prolonger une très ancienne tradition. Depuis fort longtemps, les mandarins aimaient à user de pseudonyme­s, fondés sur leurs loisirs, leurs idéaux ou leur lieu de séjour. C’est dire que ce recours aux surnoms n’est pas destiné à moquer ou dénigrer ; bien au contraire, il vise à exprimer une forme d’empathie et à témoigner une manière d’attachemen­t. Ainsi va la culture chinoise : la tradition se prolonge dans la modernité.

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