Le Nouvel Économiste

Jared Kushner, “The secretary of everything”

La fille et le gendre ont leur bureau à la Maison-Blanche. Le second est aujourd’hui soupçonné de liens avec la Russie

- PAR ANNE TOULOUSE

L’enquête sur les contacts de la campagne Trump avec la Russie vient de toucher un point sensible: Jared Kushner, gendre et conseiller du président, est soupçonné d’avoir tenté d’établir des contacts officieux avec Moscou. Pour le président, c’est un revers à la fois politique et sentimenta­l. Lorsque pendant leur troisième débat avant l’élection, les deux candidats ont été interrogés sur ce que chacun trouvait de positif chez l’autre, Hillary Clinton n’a eu qu’un compliment à faire à Donald Trump : la façon dont il avait élevé ses enfants. Il y a une chose que l’on ne peut pas enlever à l’actuel président, il a l’esprit de famille, une vertu que partagent beaucoup de ses concitoyen­s. Il l’a dit lui-même : “J’ai grandi avec le rêve américain de partager ma vie avec une femme et des enfants”. Dans ce domaine, comme en toutes choses, il a vu grand, ses trois mariages successifs ont produit cinq enfants. Dans cette tribu, la favorite est incontesta­blement Ivanka, née du grand amour tumultueux de sa jeunesse, Ivana Trump. S’il a confié la direction de ses affaires à ses deux fils aînés, c’est pour garder près de lui un lot qui ne se détaille pas, le couple Ivanka et Jared Kushner, connus pendant leur période glamour à Manhattan sous le sobriquet J-Vanka. La rencontre, les fiançaille­s et le mariage de ce couple remarquabl­ement photogéniq­ue ont alimenté pendant des années la rubrique “conte de fée” des tabloïds locaux. Cette alliance n’était pas évidente, les Kushner sont une famille de juifs orthodoxes, proches du Parti démocrate. Ivanka s’est convertie au judaïsme et le noyau dur des trumpistes la soupçonne d’avoir le coeur qui penche dangereuse­ment à gauche. Elle a sans doute trouvé dans son mari une version plus sophistiqu­ée de son père. Comme Donald Trump, Jared Kushner s’est attaqué très jeune à l’univers impitoyabl­e de l’immobilier à Manhattan, dans des circonstan­ces il est vrai différente­s. Il a repris, à 26 ans, les affaires familiales, lorsque son père a été emprisonné pour fraude fiscale. Mais ce brillant jeune homme a l’esprit ouvert à toutes les aventures. Il a acheté un hebdomadai­re new-yorkais et s’est intéressé à l’informatiq­ue. C’est ainsi qu’a démarré sa percée en politique. Jared Kushner, “The secretary of everything” Lorsqu’à la surprise générale, la campagne Trump a pris son envol, Jared Kushner a rassemblé un groupe de jeunes magiciens des ordinateur­s et ils ont monté, en secret (déjà !), au Texas une opération de ciblage informatiq­ue des électeurs. L’originalit­é de cette opération est qu’elle visait non pas l’électorat général, mais celui qui était susceptibl­e de produire la clé de la victoire : les grands électeurs. Comme on l’a vu, ce système quasi-amateur a défait l’énorme machine Clinton. Après cela, le First Gendre a subi la tentation de la politique. Arguant des liens de la famille Kushner avec Israël, Donald Trump l’a imaginé prenant en main le problème de la paix au Proche-Orient, un dossier sur lequel il semble avoir un rôle plus symbolique qu’opérationn­el. Mais son véritable pouvoir est sa proximité avec son beau-père, dans un champ d’action si vague et si large qu’on l’a surnommé “The secretary of everything”, le ministre de tout. Les deux éléments du couple J-Vanka ont leur bureau à la Maison-Blanche, où leur influence est d’autant plus grande que Donald Trump s’est trouvé jeté en solitaire dans un monde inconnu, sa femme et son fils étant restés à New York pendant les premiers mois de sa présidence. La jalousie que cela a suscitée n’a pas été, autant qu’on le sache, celle de Melania, mais celle des autres cercles de l’entourage politique du président. Washington résonne de l’écho des luttes de clans entre les conservate­urs et ceux que l’on pourrait appeler les New-Yorkais, comme Gary Cohn, le conseiller économique du président, ami des Kushner et soupçonné, comme eux, de déviance idéologiqu­e. Si ses manières urbaines, son visage innocent et sa présentati­on impeccable lui donnent l’air d’un enfant de choeur, Jared Kushner est loin d’en être un, comme le montre sa vie antérieure de businessma­n, actuelleme­nt passée au peigne fin par la presse. Il n’est pas sûr non plus qu’il ait eu l’influence lénifiante sur son beau-père qu’on lui prêtait, il aurait été l’un de ceux qui ont donné le conseil malavisé de limoger le directeur du FBI. Il a poursuivi de sa vindicte et contribué à éloigner de la MaisonBlan­che un proche de la première heure, le gouverneur du New Jersey, Chris Christie, qui à l’époque où il était procureur avait présidé à la condamnati­on de son père. L’atmosphère de guérilla qui règne dans les coulisses de la présidence et son propre amateurism­e en politique ont sans doute contribué à la situation actuelle de Jared Kushner. C’est dire que tout le monde ne verse pas des larmes amères en voyant le favori sous le coup de soupçons dont la nature n’est pas encore très claire. Si ces soupçons étaient avérés, cela placerait Donald Trump dans une situation cornélienn­e: il peut se défaire d’un collaborat­eur encombrant, mais peut-il se défaire du mari d’Ivanka ?

Les Kushner sont une famille de juifs orthodoxes, proches du parti démocrate. Ivanka s’est convertie au judaïsme et le noyau dur des trumpistes la soupçonne d’avoir le coeur qui penche dangereuse­ment à gauche

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