POLÉMIQUE
Développé par plusieurs gouvernements successifs, ce système qui cherche à ne plus stigmatiser l’élève en s’affranchissant des notes traditionnelles dissimule une baisse considérable du niveau général.
Dans quelques années, les élèves ne seront peut-être plus évalués grâce à des notes chiffrées mais avec des smileys. » C’était écrit par nos confrères du Figaro, en 2010. Dix ans plus tard, cette phrase qui paraissait comme une mauvaise anticipation orwellienne est devenue réalité dans bon nombre d’établissements de France. Lancé et totalement installé en primaire, le système a progressé jusqu’au collège – et commence à s’immiscer au lycée. L’idée était simple : il fallait rendre l’évaluation « plus constructive, plus individualisée », selon les mots d’un certain Jean-Michel Blanquer, alors directeur général de l’enseignement scolaire, mais sans « être moins exigeant. Nous ne voulons pas la mort des notes, elles sont complémentaires. »
Aujourd’hui, la mort des notes semble pourtant programmée. Après de multiples débats entre chercheurs, docimologues (la science de l’évaluation), sociologues, psychologues et philosophes, l’air du temps est à l’arrêt de la stigmatisation des élèves par la notation classique – estimant que les termes « en cours d’acquisition » ou « maîtrise insuffisante » (quand ce n’est pas une pastille rouge ou orange) sont moins humiliants et plus faciles à comprendre pour un élève qu’un 07/20. « En réalité, ce grand n’importe quoi sert à dissimuler aux yeux des élèves eux-mêmes leurs propres difficultés », analyse René Chiche, professeur agrégé de philosophie au lycée, vice-président du syndicat Action & Démocratie, représentant CFE-CGC et membre du conseil supérieur de l’Éducation. « Mais au-delà du bien-fondé ou non de ce système, on observe certains établissements faisant croire que c’est une mesure obligatoire, alors que c’est un choix qui revient aux professeurs. » Selon Éduscol, le site officiel d’information des professionnels de l’Éducation, ce système n’est absolument pas obligatoire à l’exception de deux moments au collège (à la fin de la 6e et à la fin de la 3e). Une vérité qui va à rebours de plusieurs témoignages de professeurs enseignant dans des établissements situés dans des zones d’éducations prioritaires ou plus défavorisées. « On observe beaucoup de plaintes d’enseignants faisant l’objet de pression pour utiliser ce système de notation tout au long de l’année », affirme Wissâm Feuillet, également membre d’Action & Démocratie et professeur agrégé de lettres modernes auprès de l’académie de Dijon. « Avec toutes les bonnes intentions du monde, ce système coupe les cheveux en quatre tout en dissimulant la baisse du niveau. En s’inspirant de l’évaluation des employés dans les entreprises, il réduit les évaluations en de petits savoir-faire. Dans des matières comme l’histoire, la philosophie ou les lettres où l’on demande à des élèves de produire des travaux de réflexion, d’argumentation et de culture générale, ça ne peut pas se réduire à 3 ou 4 domaines de compétences. Il en faudrait des centaines, et ce serait illisible. »
D’AUTRES FACTEURS EXPLIQUENT LA BAISSE DU NIVEAU
Du côté de la science, des voix tempèrent le bilan de cette « évaluation par compétences ». « Les recherches ne permettent pas d’expliquer la baisse ou la stagnation du niveau scolaire général par ces nouvelles pratiques d’évaluation », estime le professeur de sociologie Pierre Merle, spécialisé dans l’étude de l’évaluation scolaire : « Plusieurs autres facteurs, dont la construction des programmes, le changement des méthodes d’enseignement et le fait de réunir les bons ou les mauvais élèves au sein d’une seule et même classe, sont à prendre en compte. C’est ce que l’on nomme l’effet des pairs : s’il n’y a pas de locomotives dans la classe, les élèves faibles progressent difficilement. Et, au contraire, en réunissant uniquement de très bons élèves, on observe un effet de découragement pour certains élèves. » Finalement, l’ultime paradoxe de cette évaluation par compétences se trouve dans la montée en puissance d’une méthode inadaptée à l’enseignement général et classique dans un système scolaire qui n’a toujours pas commencé la revalorisation des voies professionnelles et techniques dès le collège. Et, plus de dix ans après leur apparition à un niveau européen, de ne pas avoir su démontrer leur réelle valeur pédagogique dans l’accompagnement des élèves les plus défavorisés.