LE PROFILAGE DES TUMEURS
En identifiant et en bloquant les mécanismes biologiques impliqués dans l’apparition des cellules cancéreuses, il est possible de stopper leur développement, voire de les faire disparaître. Une méthode qui porte autant d’espoirs qu’elle révèle de défis.
Imaginez un patient atteint d’un cancer du poumon se rendant à l’hôpital une fois tous les trois mois pour se faire prescrire ses cachets et rentrant ensuite chez lui pour mener normalement sa vie ! Ce tableau singulier n’est pas tiré d’un roman de science-fiction, c’est la routine pour de nombreux malades profitant des avancées extraordinaires des thérapies ciblées.
Leur principe consiste à identifier les addictions oncogéniques, soit les caractéristiques biologiques menant à la multiplication des cellules et à l’apparition de la maladie. Il convient alors de créer des médicaments bloquant les moteurs biologiques. En cas de succès, la réponse thérapeutique est rapide, profonde et prolongée. Les tumeurs peuvent diminuer de 80 à 90 %. Voire disparaître.
Ce principe est utilisé depuis plusieurs années, notamment pour le cancer du sein ou de la prostate (hormonothérapie) et certaines leucémies, mais c’est à partir des années 2000 que le séquençage systématique des tumeurs a été lancé en France. Grâce à la connaissance complète de l’ADN du génome humain (finalisé en 2003), il est devenu possible de comparer le matériel génétique des cellules saines et malignes, afin de détecter des « anomalies » dites actionnables. Ces anomalies, propres à chaque type de cancer, participent au fonctionnement de la cellule cancéreuse. En agissant directement sur elles avec des médicaments, on peut détruire cette cellule tout en épargnant les tissus sains voisins. Ainsi, les mutations de l’EGFR, une anomalie biologique présente dans 10 à 12 % des cas de cancer du poumon en Europe (35 % en Asie), peuvent être inhibées par l’Osimertinib (par exemple), avec un taux de réponse exceptionnel de 80 %. Pour soigner certaines maladies hématologiques, on enraye les anomalies IDH1 et IDH2, des enzymes qui participent au contrôle du métabolisme dans les leucémies aiguës myéloïdes. De même, les mutations de PI3KCA, impliquées dans 40 % des cancers du sein, peuvent être neutralisées par un inhibiteur spécifique (par exemple l’Alpelisib).
« Nous avons identifié des milliers d’anomalies, mais nous ne disposons pas encore de traitement pour toutes, explique le Pr Fabrice Barlesi, directeur médical du centre régional de lutte contre le cancer Gustave-Roussy, à Villejuif, le premier établissement de soins, de recherche et d’enseignement d’Europe. À Gustave-Roussy, nous disposons du plus grand plateau de radiologie interventionnelle. Cela permet d’effectuer des prélèvements de tissus de tous types d’organes pour réaliser des biopsies. Depuis peu, grâce à la biopsie liquide, nous pouvons accéder directement à l’ADN tumoral dans le sang et déceler la présence des mêmes anomalies de manière moins invasive. »
La thérapie ciblée participe à la médecine de précision, un traitement adapté à la maladie et au patient. Elle réduit le risque d’effets secondaires, à l’inverse de la chimiothérapie qui détruit indifféremment toutes les cellules à développement rapide. Cependant, comme avec les antibiotiques, il est possible de rencontrer des résistances. On effectue alors de nouvelles biopsies pour les comprendre et tenter de les stopper. C’est pourquoi des médicaments dits de première, de deuxième ou de troisième génération sont développés pour contrer ces résistances. On peut parfois les combiner à d’autres techniques (radiothérapie, immunothérapie, chimiothérapie) afin de maximiser les résultats sur le long terme.
Selon Fabrice Barlesi, les évolutions dans le domaine s’avèrent prometteuses. Elles passent par la poursuite du démembrement moléculaire de toutes les pathologies cancéreuses, notamment des moins répandues, le ciblage de plus en plus précis des cellules tumorales par des médicaments de nouvelle génération et la compréhension des mécanismes de résistance. Avec, en ligne de mire, des traitements plus efficaces et faciles à supporter pour toutes les affections. ■