POURQUOI RACHIDA DATI CROIT À SA VICTOIRE
Avec une campagne de terrain sur les valeurs de la droite, la candidate des Républicains a remobilisé son électorat. Reportage.
Je ne mets jamais d’affiche dans ma boutique, mais pour vous, je veux bien. » « On est des inconditionnels. On veut que vous soyez maire de Paris, plus que vous. » L’opticien comme le traiteur du boulevard Voltaire (11e arrondissement de Paris) sont au diapason : ils adorent Rachida Dati et lui montrent leur affection. Une cliente du coiffeur installé depuis quarante-trois ans sur le boulevard n’hésitera pas à prendre un selfie avec la candidate alors que sa teinture n’est pas encore terminée ! « Lui aussi, il vote pour nous, on a fait un strike », se félicite Nelly Garnier, tête de liste LR dans l’arrondissement. Rachida Dati adore les déplacements sur le terrain. Elle en a fait, depuis plus d’un an, sa marque de fabrique. 18e, 11e, 15e, elle arpente les rues de la capitale sans relâche, sachant que sa venue a des effets bénéfiques sur les candidats qui la soutiennent. Sa force ? Elle est sans doute la seule candidate à pouvoir aller du nord au sud et de l’est à l’ouest de Paris sans provoquer d’animosité à son encontre. À l’inverse, c’est plutôt de la bienveillance que lui montrent les Parisiens. Ceux qui ne votent pas pour elle se réfugiant dans l’indifférence. Anne Hidalgo peut-elle en dire autant ? Pas sûr. Rachida Dati a les codes de toutes les catégories sociales. Aussi à l’aise avec une femme issue de l’immigration dans le 18e qu’avec une femme issue d’une famille aisée du 16e. Elle sait trouver les mots pour chacun de ses interlocuteurs, des mots qui entrent en résonance avec son histoire et ses préoccupations. Les personnes d’origine étrangère ? Elle leur raconte sa jeunesse dans les HLM de Chalon-surSaône. Les personnes issues de l’immigration ? Elle peut leur parler de son intégration et de son parcours de magistrate, puis en politique. Les familles bourgeoises des quartiers ouest ? La ministre de Nicolas Sarkozy, maire du 7e arrondissement, les épate avec son carnet d’adresses où figurent les grands noms de la politique comme des grandes entreprises du CAC 40. Les femmes admirent le parcours de celle qui a su se hisser dans un milieu d’hommes. Les hommes
apprécient cette femme qui ne mâche pas ses mots, dit ce qu’elle pense et bouscule l’ordre établi. « Elle est “no limit”, assure une élue qui la connaît bien. Rachida Dati ? C’est, à elle seule, le métro aux heures de pointe ! »
Il suffit de voir la tête des habitants de la rue Sedaine venus la rencontrer dans le Café de l’Industrie quand elle envoie un SMS à l’un de ses contacts pour savoir où en est leur dossier. Ils sont venus lui raconter leurs mésaventures face à un établissement ouvert toute la nuit, assez peu soucieux des mesures de sécurité, attirant une population bruyante, fortement alcoolisée et parfois brutale. Ceux qui habitent au-dessus doivent quitter leur logement envahi par des fumées toxiques ! Ils ont saisi la mairie d’arrondissement, puis la mairie centrale, mais face à leur inertie, craignent le pire quand l’établissement ouvrira à nouveau à l’issue de sa fermeture administrative de six mois, en avril prochain. Après les avoir écoutés pendant vingt minutes, leur avoir expliqué qu’elle, dans un cas semblable, dans son arrondissement, aurait agi sans tarder, Rachida Dati prend son téléphone et appelle un de ses interlocuteurs à la préfecture de police. Au bout de cinq minutes, elle raccroche et les rassure. Ils semblent abasourdis et épatés. « Ils ne s’en doutent pas, mais sa force, c’est qu’elle connaît le système, explique une de ses proches. Elle sait comment ça fonctionne. Son parcours, depuis la magistrature jusqu’aux ministères (Place Beauvau et Bercy), lui a donné tous les codes. » Grâce à son intervention directe, leur dossier vient de remonter au-dessus de la pile. Mieux, elle pose son bras sur celui du président de leur association et lui assure qu’elle n’hésitera pas à porter plainte pour les aider. « Moi, je vais vous dire, je ne vais pas lâcher. » Deuxième marque de fabrique de l’ancienne ministre de la Justice : aller au bout de ce qu’elle veut. Quelles que soient les embûches, souvent venues de son propre camp. Elle en a vu tellement d’autres dans sa vie. « C’est quoi, l’enjeu ? C’est pas d’être gentil ou sympa ! Tu veux faire de la politique ? Tu te donnes les moyens de faire de la politique. J’ai appris ça avec mon père. Quand on était jeunes, parfois, on le trouvait sévère. On disait : “Mais papa…” Et il répondait : “Il n’y a pas de papa qui compte.” Ses troupes, qu’elle ne ménage pas, peuvent parfois la trouver dure, exigeante. Elle s’amuse, raconte qu’elle ne s’arrête pas, qu’avant de venir dans le 11e, elle a, pour déjeuner, « pris un tajine dans la voiture avec une copine ». Elle se rappelle ce que lui avait dit Simone Veil quand l’ancienne ministre la voyait s’activer : « Quand je vous vois, je me dis que je n’en ai pas assez fait quand j’étais au pouvoir. » Dans son arrondissement, Rachida Dati a donné son numéro de portable à tous les gardiens d’immeuble. Elle leur transmet aussi celui du commissaire de police. Au moindre souci, elle veut être mise au courant pour régler le problème le plus rapidement possible. « L’opposition nous a épinglés pour les frais d’affranchissement, raconte une élue du 7e arrondissement.
Rachida Dati a les codes du système et les codes pour parler à toutes les catégories sociales
de la population parisienne
Mais c’est parce que les habitants savent que Rachida Dati leur répond personnellement et veille à le faire dans les quarante-huit heures qui suivent la réception de leur courrier. » Rachida Dati obtient généralement ce qu’elle veut. En tout cas, elle se donne les moyens d’y parvenir, et comme rien ne l’arrête, elle arrive à ses fins. La candidature d’Agnès Evren, dans le 15e arrondissement de Paris, en est une excellente illustration. Comme le maire sortant, Philippe Goujon, ne voulait pas s’engager à voter pour elle au conseil de Paris, Rachida Dati a tout fait pour présenter une candidature estampillée LR. Immédiatement, elle sollicite Agnès Evren, la présidente de la fédération LR de Paris, qu’elle apprécie. La jeune femme décline, lui expliquant qu’elle est déjà députée européenne et qu’elle s’est engagée à ne pas être candidate aux municipales. Elle ignorait que Rachida Dati remuerait ciel et terre pour la faire changer d’avis. Elle sollicite François Baroin :
« François, peut-être que tu auras d’autres ambitions à un moment donné. Tu auras besoin de nous. Mais moi, j’ai besoin de toi maintenant.
– Je vais essayer », promet François Baroin. Nouveau refus d’Agnès Evren qui, redoutant un combat fratricide, résiste toujours. François Baroin lui répète qu’elle ne peut renoncer – en vain. Il rappelle Rachida Dati : « Je crois qu’elle ne veut pas y aller.
– Tu sais quoi ? Je vais te dire un truc : si c’est non, ne compte plus sur moi pour rien !
– D’accord, j’y retourne, mais je ne peux pas être le seul. » Rachida Dati sollicite Christian Jacob, Éric Ciotti, Nicolas Sarkozy.
Face aux amicales pressions, Agnès Evren commence à changer d’avis. Elle se dit que pour avoir la paix, le seul argument que Rachida Dati comprendra, c’est celui de la famille. Elle lui explique donc qu’elle veut protéger sa famille après toutes les campagnes qu’elle a menées depuis deux ans. Son mari est d’ailleurs opposé à sa candidature. Aucun effet sur la candidate à la Mairie de Paris, qui appelle le mari d’Agnès Evren afin de le convaincre, et, par là, son épouse.
« ELLE A RETOURNÉ LA SITUATION »
En trois semaines, Rachida Dati aura renversé la situation à son avantage. D’autant qu’en commission d’investiture elle arrive à convaincre tous les présents de mettre une candidate face au maire sortant LR, Philippe Goujon. C’était loin d’être gagné. Autre exemple : elle aura le soutien de Nicolas Sarkozy, François Baroin
“Au fond, je crois que je vais gagner Paris”, assure Rachida Dati, qui bénéficiera du soutien de Sarkozy, Baroin et même Bertrand
mais aussi Xavier Bertrand, qui s’était éloigné des Républicains depuis 2017. Cette détermination à toute épreuve est peut-être ce qui plaît aussi à l’électorat de droite, en plus de son projet qui replace le combat dans un affrontement classique droite-gauche. « Il y a trois mois, personne ne voulait d’elle comme candidate. Ni les élus ni les électeurs. Elle a retourné la situation »,
constate, admiratif, un élu parisien.
Elle s’est notamment appuyée sur l’étude publiée par Nelly Garnier pour la Fondation pour l’innovation politique, Allo maman bobo *. Celle qui est aujourd’hui tête de liste dans le 11e et sa directrice de campagne est persuadée que la droite ne doit pas abandonner le combat des métropoles que tous les observateurs donnaient acquises aux macronistes. Et que c’est en revenant sur ses fondamentaux, notamment la sécurité, qu’elle peut mobiliser son électorat, voire l’élargir car cette préoccupation dépasse largement son socle naturel. « Les territoires perdus de la République sont au coeur de Paris »,
assure la candidate aux habitantes du 11e qui se plaignent des nuisances le soir dans le jardin Truillot quand les jeunes organisent des after bruyants, faute de grilles. « Tout s’organise, là c’est l’anarchie. Si je suis élue en mars, on clôture le jardin », promet Rachida Dati. Reste à transformer l’essai. Rachida Dati a remobilisé une partie de la droite parisienne. Jeudi soir, dans le 15e, Christian Jacob, venu épauler Agnès Evren et Rachida Dati, l’a confirmé : « Un chiraquien comme moi sait ce que c’est de remonter la pente. L’enjeu de cette campagne c’est : Anne Hidalgo, stop ou encore. La seule vraie alternance, c’est Rachida Dati. » Le patron des LR est un des premiers à avoir senti « l’effet Dati » sur les électeurs parisiens. Il a soutenu la candidate sans réserve dans ses exigences et d’ailleurs a demandé aux troupes de la candidate : « Utilisez-moi davantage. »
À DROITE, LES DIVISIONS DEMEURENT
Malgré la dynamique enclenchée, les divisions demeurent. La droite part en ordre dispersé dans plusieurs arrondissements clés qui peuvent lui coûter la victoire. Le remplacement de Benjamin Griveaux, clivant, par Agnès Buzyn, plus consensuelle, peut avoir un effet sur l’électorat de centre droit. Rachida Dati l’a bien compris qui a immédiatement lancé un appel à l’unité, espérant faire revenir dans le giron LR des maires sortants tentés par la dissidence ou les sirènes de LREM. Tout reste possible jusqu’à la date limite de dépôt des candidatures vendredi 28 février. En 2014, Nathalie Kosciusko-Morizet avait obtenu 35,6 % des voix au premier tour. Et les 249 024 voix du second tour (43,7 %) ne lui avaient pas permis de faire basculer le scrutin en sa faveur. Il reste tout juste trois semaines à Rachida Dati pour convaincre les électeurs. « Au fond, je crois que je vais gagner Paris », veut se persuader la candidate. ■
*Allo maman bobo, l’électorat urbain, de la gentrification au désenchantement. Fondapol, juillet 2019.