TEL UN CONTEUR, ROB DÉVOILE LES SECRETS DU DREAM TIME, LE “TEMPS DU RÊVE” ABORIGÈNE
amplitude pouvant atteindre près de 12 mètres. Quand la mer monte, elle vient s’engouffrer par deux passes étroites encadrées de hautes barres rocheuses parallèles à la chaîne McLarty. Lorsque l’eau se retire, plus vite d’un côté que de l’autre sur ces fractures étroites et de différentes profondeurs, un mur d’eau de près de 4 mètres de hauteur se forme et se déverse en un courant rageur. C’est aussi la première opportunité de grimper dans le chopper (hélico) depuis le rouf du bateau pour un survol panoramique saisissant, ou de prendre d’assaut les Tender qui nous emportent au plus près de ces cataractes marines.
DUGONGS, DAUPHINS ET BALEINES ÉCUMENT LES EAUX
A Mongomery Reef, le True North s’immisce dans un des chenaux couleur indigo du parc marin de Camden Sound, vaste dédale de lagons et de langues de sable de près de 400 kilomètres carrés parsemé d’îlots. Le récif corallien étonne par l’abondance de son bestiaire. Tortues, dugongs, dauphins et baleines à bosse écument les eaux limpides et infiniment turquoise. Mais, si l’on rejoint cet autre spot iconique de la région, c’est aussi pour assister au curieux spectacle qui se déroule à chaque marée descendante quand le massif récifal, entièrement découvert, semble surgir des profondeurs, tel un gigantesque sous-marin faisant surface. Des dizaines de rapides dévalent alors ses pentes hautes de près de 5 mètres. Et, sur la table des herbiers fraîchement dévoilés, une multitude d’huîtriers, aigrettes et autres échassiers et pluviers, peuvent alors festoyer goulûment. La cartographie retrace la chronologie des navigateurs. Elle se souvient de l’aventurier et pirate William Dampier, qui fut le premier Anglais à explorer la « Nouvelle-Hollande » à la fin du XVIIe siècle ; de Baudin, le Français qui précéda le Britannique Philip Parker King. Ce dernier, revanchard, s’empressa de baptiser les deux montagnes tabulaires que l’on aperçoit depuis le pont du bateau du nom de défaites napoléoniennes, Trafalgar et Waterloo. Et, quand le True North se faufile dans les gorges spectaculaires des rivières Hunter et Prince Regent (dont le bassin est classé réserve de la biosphère par l’Unesco), la géologie poursuit et accélère cette remontée dans le temps. Des centaines de milliers d’années nous séparent de l’origine de ces basaltes et vieux grès oxydés qui nous toisent de toute leur hauteur. Et, quand enfin nous arrivons au pied de royales cascades, telles les King Cascades ou, plus spectaculaires encore, celles, jumelles, de King George, Captain Ben se fait une joie de plonger la proue du True North sous les vertigineux voiles d’eau. Il est alors l’heure, très attendue pour les passagers, de prendre une douche revigorante, extravagante et ludique depuis le pont avant du bateau à l’endroit où se fracture le vaste plateau de Kimberley. Ses cours d’eau impétueux et imprévisibles ont, au fil des siècles, creusé de vertigineux canyons. Il nous arrive aussi d’escalader ces promontoires rocheux pour gagner de secrets billagongs (bassins d’eau douce) festonnés de pandanus et de palmiers endémiques livistonas. Oasis paradisiaques, propices à la baignade, dans lesquels caracolent et gazouillent des cascatelles.
Cette région oubliée aurait été, il y a 30 000 à 50 000 ans, l’un des premiers points de contact des populations en provenance d’Asie du Sud-Est. Aujourd’hui, les tribus aborigènes (Worrorras, Ngarinyins, Woonambas) représentent 44 % de la population du Kimberley et les milliers de peintures pariétales découvertes dans des abris-sousroche attestent de leur ancrage millénaire dans la région. Ecrins de grès brut dans lesquels s’offrent à tous vents des joyaux inestimables de l’art et de la tradition de ces peuples premiers.
Le tandem que forment Rob Colbert et son hélicoptère, un Eurocopter EC 130 B4, « le meilleur du monde pour ce genre d’opération » selon lui, est parfois le seul moyen, mais surtout le plus exaltant, pour rejoindre ces extraordinaires musées à ciel ouvert. Rob dépose alors ses passagers sur le Mitchell Plateau, en plein bush, avec une dextérité déconcertante, entre deux boules de spinifex et trois eucalyptus. A deux pas de sites de toute beauté qu’il a repérés au fil de ses innombrables investigations. Passionné par la culture aborigène et sa cosmogonie, Rob nous livre, dans une chaleur accablante et sur le motif, les secrets du Dream Time, le Temps du Rêve. En l’occurrence, ceux des Wandjinas, grands personnages peints à l’ocre. Auréolés des éclairs du tonnerre, ces esprits totémiques de la pluie et de l’orage, à l’origine de la création, semblent nous fixer de leurs grands yeux noirs. Les plus anciennes de ces représentations seraient âgées de 1 700 ans. Mais celles qui nous observent ne seraient que des jeunesses de moins de… 500 ans ! D’autres sites montrent de gracieuses silhouettes de danseurs longilignes dans des tenues de cérémonie très précisément dessinées. Parfois pas plus hautes que la main d’un homme, ces « figures Bradshaw », du nom de ce pasteur né à Melbourne qui les découvrit en 1891, les Aborigènes les appellent Gwion-Gwion. La datation de ces merveilles donne le vertige : l’une d’elles à 17 500 ans, ce qui en fait l’une des plus anciennes représentations détaillées d’humains au monde.
L’ESPOIR D’UN SUPER PARC MARIN DU KIMBERLEY
Mais le True North, déjà, s’enfonce dans le golfe de Cambridge où se niche Wyndham, port de débarquement pour les passagers. Autre bout du monde improbable érigé à la fin XIXe siècle lors de la ruée vers l’or. L’unique autoroute du Kimberley, la Great Northern Highway, le relie à Kununurra et son aéroport régional. Certains continueront leur exploration de l’immense île-continent. Les passionnés de culture aborigène gagneront le Territoire du Nord et sa terre d’Arnhem, tout proches. Pour nous, l’aventure australienne prend fin.
Plus qu’une expédition aux confins d’un monde sauvage, notre épopée à bord du True North fut avant tout un fascinant voyage dans le temps. Le temps d’un rêve où la nature, préservée de l’homme moderne, s’offre à l’état brut. Mais pour combien de temps encore ? Des rumeurs de projets pétroliers ou gaziers font frémir les défenseurs de l’environnement qui espèrent, un jour, créer un super parc marin du Kimberley qui engloberait la totalité du littoral, depuis le sud de Broome jusqu’à la frontière du Territoire du Nord. ■