L’ÉDITORIAL
de Guillaume Roquette
Le distinguo n’avait rien d’anodin. Le mois dernier, au bureau, dans les boutiques ou en famille, certains ont souhaité un « joyeux Noël », quand la plupart optaient prudemment pour de « bonnes fêtes de fin d’année ». Formidable résumé des deux conceptions de la laïcité à la française : faut-il ou non dissimuler, au nom du sacro-saint vivreensemble, notre culture chrétienne ? On écrit « notre » car, quelle que soit leur religion (ou leur absence de religion), bien peu de Français dédaignent le rituel du 25 décembre, ses réunions de famille, son sapin et ses cadeaux. Et ils sont moins nombreux encore à souhaiter abolir ce jour férié.
Mais voilà, tout le monde a beau aimer Noël, il apparaît préférable à beaucoup de ne pas en faire état, comme à tout ce qui se réfère de près ou de loin au christianisme. A l’image des présentateurs météo qui mentionnent les prénoms à fêter sans jamais rappeler qu’il s’agit des saints du calendrier – comme si la mention de telles références relevait, au choix, d’un archaïsme fâcheux ou d’un prosélytisme importun. En l’an 2000 déjà, Jacques Chirac et Lionel Jospin s’étaient opposés avec la dernière énergie à la mention des racines chrétiennes de l’Europe dans la charte des droits fondamentaux de l’UE. Pourtant, une reconnaissance de notre culture chrétienne ne suppose aucunement l’adhésion à la foi catholique, ni à aucune autre d’ailleurs. Chacun devrait pouvoir se reconnaître dans cette synthèse inédite qu’a réussie le christianisme entre la morale juive, la raison grecque et la loi romaine en y ajoutant – ce qui n’est pas rien – une attention prioritaire aux plus faibles. Et pourtant, ça coince. Tous les forcenés de la laïcité, depuis le Conseil d’Etat qui fait démonter les statues de Jean-Paul II jusqu’aux préfets qui chassent les crèches des mairies (on aimerait qu’ils déploient le même zèle à fermer les mosquées salafistes), s’obstinent à bouter le moindre signe chrétien hors de l’espace public. Plus surprenant encore, la hiérarchie catholique, partout en Europe, ne voit pas forcément d’un bon oeil le retour au goût du jour d’une identité chrétienne, considérée comme une récupération politique se conjuguant assez naturellement avec une forme de préférence nationale. Pas vraiment le genre du pape François, qui a récemment soutenu avec enthousiasme le pacte mondial des Nations unies pour les migrations. Mais cette tension relève d’une conception somme toute assez saine de la laïcité : nous ne sommes ni en Russie ni dans un Etat musulman et les autorités religieuses n’ont pas à être partie prenante du gouvernement.
Sur un sujet aussi sensible, commençons par faire la distinction entre la foi chrétienne (qui relève d’un choix éminemment personnel), les valeurs chrétiennes (qui peuvent inspirer avec profit les politiques) et l’identité chrétienne comme facteur de différenciation culturelle, face à l’islam en particulier. Comme au restaurant, rien n’empêche de faire son choix à la carte.
A défaut de vous souhaiter un joyeux Noël (il est un peu tard pour cela), toute la rédaction du Figaro Magazine vous présente ses voeux de bonne et heureuse année 2019.