LECTURE / POLÉMIQUE
Matthew d’Ancona est éditorialiste au « Guardian » et au « New York Times ». A travers un petit essai stimulant, il s’interroge sur le naufrage de « la valeur vérité »
à l’ère des réseaux sociaux et des chaînes d’info.
Le constat se veut presque désespéré : « Nous sommes entrés dans une nouvelle phase du combat politique et intellectuel. Les fondations de l’orthodoxie démocratique sont ébranlées par un populisme immonde. La raison est menacée par l’émotion, la diversité par l’identité, la liberté par une dérive vers l’autocratie. » Si l’on peut légitimement douter du fait que le « populisme » ait été l’inventeur de tous ces maux – notons avec amusement que l’auteur n’hésite pas à employer lui-même un vocable émotionnel pour qualifier l’adversaire –, le diagnostic n’en demeure pas moins intéressant.
Cette tyrannie de l’émotivité qui s’exprime au détriment du rationnel est une réalité que certains appellent depuis quelques années « post-vérité », autrement dit « un naufrage de la valeur vérité ». Dès lors, conclut Matthew d’Ancona, « l’honnêteté et l’exactitude ne paraissent plus prioritaires dans les échanges politiques ». Par une sorte de réflexe facile, la figure de Donald Trump est avancée pour incarner ce changement de paradigme ; ce à quoi on pourrait répondre que le mal remonte à bien plus loin, et n’est pas l’apanage du tonitruant président américain et de ses « immondes » semblables. On se souvient avec perplexité des revirements du gouvernement Hollande concernant la théorie du genre : citée et assumée un jour par le Président, nous apprenions
quelque temps après que « la théorie
du genre n’existait pas », de la bouche même de la ministre de l’Education. Orwell, dites-vous ?
En matière de sensationnalisme, la presse traditionnelle n’est pas non plus en reste ; le traitement de la question migratoire a été un exemple éclatant d’un appel massif à l’émotion des lecteurs par le biais d’images déchirantes. Malheur à qui osait avancer quelques réserves ; le temps était à l’indignation. Matthew d’Ancona situe l’origine du problème dans la perte de confiance grandissante des citoyens dans les institutions ; il rappelle à juste titre les différentes crises politiques ou économiques qui ont ébranlé la légitimité des corps constitués aux yeux des populations. Plus intéressant encore est le parallèle que l’auteur trace entre l’avènement d’une société postmoderne, où la déconstruction fait loi, et l’apparition de la notion de post-vérité. Les intellectuels postmodernes – Foucault et Derrida en tête – n’ont-ils pas travaillé sans relâche à une systématisation du relativisme ? « Il serait naïf de ne pas voir que les principaux penseurs de cette école qui n’en était pas une, en interrogeant la notion même de réalité objective, ont corrodé l’idée de vérité. » Qui sème le vent récolte définitivement la tempête. Devant cet effritement de la vérité, que faire ? D’abord, face à la surabondance d’informations disponibles, adopter un réflexe de vérification des sources, oser devenir des petits « rédacteurs en chef ». Ne pas oublier non plus de rendre la vérité attrayante. Voilà comment, d’après l’auteur, récupérer un peu de sens critique dans un monde de fous. Moins convaincante en revanche est la proposition de confier aux Gafam une mission de checking mise en oeuvre grâce à l’intelligence artificielle... Eleonore de Noüel
Post-vérité. Guide de survie à l’ère des fake news, Editions Plein Jour, 190 p., 15 €.