CLÉ DE LA RÉUSSITE :
→ actionnaires sont d’accord, chacun mène la vie qu’il entend et peut « travailler plus pour gagner plus ». Les Français eux-mêmes ont changé leur regard sur les politiques qui ont quitté ce milieu. La preuve ? En 2012, les conférences de Nicolas Sarkozy faisaient polémique. Aujourd’hui, plus personne ne lui conteste le droit d’en tenir ni sa rémunération. Même pour la jeune Marion Maréchal-Le Pen, le changement de vie est facilité par son statut d’ancienne députée. L’Assemblée nationale ayant sa propre caisse d’allocation chômage, elle permet à un ancien député non réélu et non fonctionnaire à la recherche d’un emploi, de percevoir une allocation dont le montant est égal, durant les six premiers mois, à l’indemnité parlementaire, soit 5 599,80 € brut. Selon les services de la questure, à partir du 1er décembre, l’enveloppe devrait être réduite à 3 919,86 € mensuels, puis perdre entre 20 et 10 % de sa valeur tous les six mois, jusqu’à 2020. Un statut qui permet à Marion Maréchal-Le Pen de sereinement préparer son retour sur le marché du travail.
Pour ceux qui changent totalement de vie, il faut se réinventer. Mais pour les entreprises, quel bénéfice en attendre ? Pourquoi recruter un François Fillon, qui a passé toute sa vie en politique sans la moindre expérience entrepreneuriale et encore moins financière ? N’ayant aucune habitude du secteur privé, et encore moins de l’analyse d’un compte d’exploitation ou d’un business plan, sa reconversion peut sembler baroque. En réalité, les jeunes patrons du fonds Tikehau Capital, Antoine Flamarion et Mathieu Chabran, ont fait un choix purement rationnel. Tikehau Capital, qui gère 11 milliards d’euros, est l’un des grands fonds les plus dynamiques de Paris, mais aussi l’un des plus jeunes (créé en 2004, il n’est coté en Bourse que depuis mars dernier), et donc l’un des moins installés dans le paysage. « Le recrutement de François Fillon leur donne une stature institutionnelle, une respectabilité qui leur manquait encore, explique un concurrent. Compter dans ses rangs un ancien Premier ministre peut être fort utile lorsqu’il s’agit par exemple d’aller courtiser, puis fidéliser les fonds souverains (ces structures qui gèrent les actifs des Etats, ndlr) pour les convaincre de placer leur argent chez vous. » Les dirigeants de Tikehau Capital l’ont bien compris ; ils ont déjà dans leur tour de table un des fonds souverains de Singapour et comptent bien grossir encore. Cette capacité à lever des capitaux est vitale dans le métier : sans investisseurs, pas d’investissements.
Mais François Fillon peut aussi se révéler précieux dans la gestion de la relation avec les entreprises où Tikehau investit de l’argent. Pas tant pour le suivi quotidien du business que pour tenir le rôle du « sage ». Car il y a forcément des frictions entre un investisseur et les patrons des sociétés dans lesquelles il s’engage, soit par du financement (dette privée), soit en devenant actionnaire. « L’aura de Fillon et sa placidité légendaire seront régulièrement mises à contribution pour dénouer les conflits », parie un connaisseur du dossier. Une chose est sûre : François Fillon n’est pas là pour faire de la figuration. « Dans ce métier, on recrute souvent des people du monde des affaires, de la politique ou de l’Administration pour impressionner son monde. Mais dans ce cas, on les nomme “senior advisors”, alors que Fillon est entré avec le statut d’associé chez Tikehau, ce qui prouve qu’il va y bosser pour de vrai », décrypte cet expert.
Ce qui est le cas de tous ceux qui arrêtent la politique. « J’avais besoin de m’oxygéner », explique Luc Chatel. La page est d’autant plus facile à tourner que la plupart de ceux qui ont franchi le pas avaient pris leur décision depuis un petit moment. Bernard Cazeneuve assure que c’est en 2012 qu’il a décidé qu’à la fin du mandat de François Hollande, il prendrait du champ. « Je l’ai dit dès 2012, mais évidemment personne ne m’a cru ! J’ai été élu pendant vingt-cinq ans. A part sénateur, j’ai eu tous les mandats. J’ai installé ma succession à Cherbourg. L’idée de revenir au bout de cinq ans pour demander à mes successeurs de me rendre la place est une conception de la politique qui n’est pas du tout la mienne. » Jean-Pierre Raffarin y pense depuis plus de trois ans : « J’avais hésité à me représenter au Sénat. » Il soutient la candidature d’Alain Juppé à la primaire en sachant qu’une défaite de l’ancien Premier ministre entraînerait un retrait de la politique. Il a donc soigneusement préparé son départ. Nicolas Sarkozy aussi savait qu’un échec à la présidentielle, voire à la primaire, signerait la nécessité de changer de vie. Il l’avait intégré dans sa réflexion. Anticipé. Au point que lorsque le jour fatal est arrivé, au soir du premier tour de la primaire des Républicains, il a facilement tourné la page. Le contexte politique l’a aidé. « Le regard de l’exécutif n’est pas le même en 2017 qu’en 2012, constate un proche de l’ancien président. Hollande le considérait comme un adversaire, le dénigrait. Macron le considère comme un homme d’expérience. Ça change les choses. » Cette page est encore plus facile à tourner pour Marion Maréchal-Le Pen. Entrée en politique à 19 ans, députée à 22, Marion a bataillé pendant cinq ans dans l’hémicycle sans groupe et presque sans soutien. A ses amis, elle confesse ne pas avoir eu le temps de goûter à une « vie normale ». « Elle vient de passer trois mois de vacances qui lui ont fait un bien fou,
confie l’un de ses proches. Elle est libérée et vraisemblablement heureuse, ne regrettant rien de sa vie précédente. » « Elle fait une cure de désintoxication de la politique », raconte un autre. Pas totalement endurcie, elle aurait néanmoins « pleuré une journée, cet été, en découvrant sa photo en maillot de bain à la une de
Closer en compagnie de son nouveau petit ami ». Victime lui aussi des paparazzis, François Fillon semble avoir facilement tourné la page politique. C’est, en tout cas, ce que ses amis assurent aujourd’hui. « François est heureux de l’avoir tournée », assure l’un d’eux qui parle de la campagne présidentielle comme d’un « enfer ». Et on comprend qu’être sorti de cet « enfer » puisse rendre « heureux ». L’ancien Premier ministre avait déjà esquissé cette « tentation de Venise ».
A Matignon en 2011, quand il réfléchissait à son avenir politique, François Fillon envisageait déjà une nouvelle vie en dehors. En cas de victoire de Nicolas Sarkozy, il était prêt à franchir le Rubicon et à s’inventer une vie sans la politique. C’est une des raisons pour lesquelles le passage en 2017 n’a pas été si difficile. D’autant que François Fillon est l’un des →