Olivier Guez La Shoah chez Francis Lopez
C’est une des plus horribles injustices de l’histoire de l’humanité. L’impunité du Dr Mengele révolte d’autant plus qu’elle fut organisée par le gouvernement argentin et tolérée par la police ouest-allemande. Les monstres de fiction sont souvent châtiés ; dans la vraie vie, le médecin d’Auschwitz a pu torturer, énucléer, affamer et couper en rondelles des enfants et des femmes enceintes de mai 1943 à janvier 1945, avant de mourir tranquille au Brésil en 1979. Prolongeant la démarche d’un Jonathan Littell (Les Bienveillantes) ou d’un Martin Amis (La Zone d’intérêt), Olivier Guez reconstitue minutieusement la longue cavale du bourreau (trente-quatre ans de fuite !). Il montre que « l’Ange de la mort » (son surnom au camp) a fini en gibier traqué. La Disparition de Josef Mengele est sans conteste le tourneur de pages (page turner) de la rentrée, même s’il donne plutôt l’impression de s’enfoncer dans les ténèbres (doit-on l’appeler « darkness diver » ?) Dans les cocktails de mondanités de la « nazi society de Buenos Aires » durant les années 1950, à bord du yacht le Falken ou autour de barbecues dans la pampa, les tueurs de Juifs comptabilisaient leurs milliers de victimes comme aujourd’hui on compare le nombre de likes : c’est la Shoah chez Francis Lopez. A partir de 1960, la disparition se complique : Mengele devient célèbre malgré lui. Eichmann, qui se pavanait un peu trop, finira au bout d’une corde à Jérusalem en 1962. On apprend que Mengele a plusieurs fois failli être capturé : arrêté pour avortements clandestins, il fut repéré par le Mossad en 1962. Au passage, Olivier Guez décrit le chasseur de nazis Simon Wiesenthal comme un aimable mythomane et le Mossad comme un service au mieux paresseux, au pire incompétent. Pourquoi n’a-t-on pas fermé l’entreprise familiale de matériel agricole Mengele, qui n’a cessé de financer la fuite de Josef ? (Réponse : parce qu’elle employait
2 000 salariés.) Guez souligne que la notoriété d’un Mengele cache des milliers de tueurs oubliés, recyclés en businessmen chez IG Farben, Krupp, Bayer, Mercedes… L’exofiction, ou faction, ou
« non fiction novel », n’est pas une mode, mais une manière de déconstruire l’Histoire pour nous aider à regarder la vérité en face. Olivier Guez a créé avec cette trajectoire connue un roman fantastiquement nouveau.
La Disparition de Josef Mengele, Grasset, 240 p.,
18,50 €.