Le Figaro Magazine

Rentrée littéraire : nos coups de coeur

Comme tous les ans, il y a beaucoup de candidats aux succès de librairie et aux prix (390 romans français recensés) mais il y aura peu d’élus. Voici notre sélection pour vous aider à trouver votre chemin dans la jungle littéraire automnale.

- MICHEL LE BRIS NICOLAS UNGEMUTH

C’est l’histoire d’une amitié : celle de deux héros de la guerre de 14 qui se sont rencontrés dans le chaos de Vienne en 1919. L’un est une légende des bombardier­s : c’est Merian Cooper, petit, jovial, d’une énergie à déplacer les montagnes, qui a fait partie de l’escadrille Kosciuszko, a repoussé les cosaques de Boudienny, s’est retrouvé emprisonné par les soviets puis s’est évadé et est revenu libérer ses camarades. L’autre, Ernest Schoedsack, est un géant taiseux, cameraman intrépide qui a fait ses classes chez Mack Sennett alors que naissait le cinéma. Tous deux imaginent de filmer le monde comme personne ne l’a fait, si ce n’est Robert Flaherty avec Nanouk l’Esquimau. C’est le début d’une aventure qui durera pendant plus de dix ans que retrace Michel Le Bris. En Abyssinie chez le ras Tafari Hailé Sélassié, en Iran chez les Bakhtiaris, au Siam au coeur de la jungle, puis au Soudan chez les furieux Fuzzy Wuzzies. Ils en reviennent avec des films révolution­naires tournés dans des conditions folles. Cooper mobilise, Schoedsack, réalisateu­r génial, filme, tous deux scénarisen­t. Leurs oeuvres sont considérée­s comme des merveilles, la Paramount les adoube. Cooper, aviateur dans l’âme, participe à la création de la Pan Am, puis rejoint la RKO de David O. Selznick. Schoedsack se perfection­ne et a l’idée des Chasses du comte Zaroff, tandis que son ami imagine King Kong, dont les deux principaux héros masculins sont directemen­t inspirés de Cooper et Schoedsack. Les deux films seront tournés quasi simultaném­ent avec des acteurs et des décors en commun, tandis que le génie des effets spéciaux Willis O’Brien rend possible l’impensable… Et, finalement, les larrons réalisent deux des plus grands films de toute l’histoire du cinéma.

Sur près de mille pages qui ont nécessité sept ans d’un travail titanesque, Le Bris réalise lui-même un exploit extraordin­aire : ce n’est pas un souffle qui anime son roman, c’est un ouragan. Chef décorateur surdoué, il aligne minutieuse­ment les détails les plus fous – comment sait-il tout cela ? Comment a-t-il pu tout absorber, puis tout réordonner en ce long crescendo ? Mystère – pour que le lecteur, comme au cinéma, ait l’impression d’y être. Héroïsme, Histoire, aviation et cinéma s’entremêlen­t le temps de douze années qui semblent durer un siècle. On tourne les pages avec une gourmandis­e frénétique, et on finit le livre déprimé de devoir s’arrêter là.

Comme ses deux protagonis­tes, Le Bris admire et connaît par coeur Stevenson, Melville, Conrad et London. Avec Kong, roman d’aventures comme on n’en fait plus, il est parvenu à égaler ses maîtres.

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