Le Figaro Magazine

“J’AIME LES PAYSAGES MOYENS, ORNÉS DE PETITES COLLINES”

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Avec son faux air de Lambert Wilson et sa voix douce, il installe d’emblée un climat de familiarit­é. Entre Evreux et Bernay, au coeur de Beaumont-le-Roger (3 000 habitants), habitant la même maison depuis trente ans, Philippe Delerm et sa femme coulent une vie paisible dédiée à la création. A la lisière du jardin qui foisonne, installé dans un étroit salon rempli de livres, orné d’une imposante cheminée Napoléon III, l’écrivain à succès se lève parfois pour aller chercher un ouvrage évoqué au fil de la conversati­on. Martine travaille, elle, dans la pièce d’à côté, devant la fenêtre. La Normandie est pour lui le plus bel endroit du monde. Tout simplement.

Que représente la Normandie pour vous ?

J’ai commencé à écrire quand je suis devenu normand. J’envoyais des manuscrits et, pendant dix ans, dans cette maison, j’attendais la réponse positive d’un éditeur. Aussi, pour moi, la Normandie est liée à une attente et à une mélancolie très fortes. Même si, à présent, on pourrait dire que je suis comblé par la vie, j’ai toujours l’impression d’être en attente.

Quelle Normandie vous inspire ?

Celle composée de petites vallées plutôt que de grands espaces gras comme l’on en trouve autour des haras. J’aime les paysages moyens, ornés de petites collines, de ruisseaux pas pressés de s’écouler, qui forment des méandres. Ma Normandie est secrète, avec des forêts et des rivières qui installent une atmosphère plus mystérieus­e.

« Il faut laisser vivre les pas » écrivez-vous dans Les Chemins nous

inventent (Stock, 1997). Marcher est-il pour vous aussi plaisant qu’écrire ?

Bien sûr. La marche, surtout en forêt, et l’écriture suscitent chez moi un sentiment analogue. A mesure que je m’engage dans une allée, je vois le cercle de lumière se déplacer vers un autre ailleurs. Le tableau est sans cesse en train de se renouveler. Les forêts me semblent variées et surprenant­es comme l’écriture.

Vos marches avec Martine sont-elles plutôt silencieus­es ?

Pas toujours. A présent que nous sommes tous deux à la retraite, nous sommes assez tranquille­s. Nos journées sont souvent dédiées à nos travaux respectifs, à l’écriture. Ces promenades sont l’occasion de se parler. On ajuste toujours le moment de partir pour ne pas être surpris par la pluie.

Quel attachemen­t vous lie à cette maison ?

Notre maison nous aime bien, elle est vieillotte, un peu frondeuse, on aime ses défauts. C’est une vraie âme. Je sais que j’y finirai ma vie. Avec Vincent, notre fils musicien, nous y avons fondé une petite cellule, pleine de nos rêves de création. Pas besoin d’embarquer sur les mers du Sud pour bâtir un imaginaire. Au fond du jardin, nous avons monté un petit théâtre avec les décors des concerts de Vincent ou du film Mon oncle, de Jacques Tati. J’aime l’idée que cette maison ait été une ancienne ferme dans laquelle les villageois venaient collecter leur lait.

Votre jardin est-il important pour votre équilibre ?

Tout pousse, en Normandie. Contrairem­ent aux jardiniers profession­nels qui quittent leurs plantes dès qu’ils ont terminé de travailler, moi, quand je jardine, j’aime ensuite rester là, au milieu des fleurs. J’aime en profiter. J’écris un peu partout, parfois sur la table dans le jardin derrière un appentis, entre les feuillages envahissan­ts. Pour moi, écrire est vraiment un travail. Je rédige à la main, sur des cahiers. Je n’ai ni ordinateur ni internet. Je ne porte pas de carnet sur moi le reste du temps car j’écris a posteriori à propos de choses que j’ai vécues, spontanéme­nt, sans arrièrepen­sées.

Le succès que vous avez rencontré en 1997 en vendant un million et demi d’exemplaire­s de La Dernière Gorgée de bière a-t-il changé quelque chose à votre vie ?

Il serait faux de dire que le succès n’a rien changé. A 46 ans, il a représenté un cataclysme, qui m’a d’ailleurs donné le privilège de m’acheter un appartemen­t à Paris. Nous avons longuement discuté, Martine et moi, pour faire en sorte que ce nouvel état ne change rien, ou presque, à notre quotidien. Nous sommes restés professeur­s jusqu’à la retraite. Aujourd’hui, nous nous occupons toujours de tout nous-mêmes. Souvent, Martine me dit qu’elle aime Philippe mais qu’elle déteste Delerm.

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 ??  ?? « En trouvant cette maison, on a eu soudain l’impression d’avoir plein de temps », se rappelle Philippe Delerm. Ici, à sa table d’écriture, dans son jardin.
« En trouvant cette maison, on a eu soudain l’impression d’avoir plein de temps », se rappelle Philippe Delerm. Ici, à sa table d’écriture, dans son jardin.

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