L’éditorial de Guillaume Roquette
Avec les voix obtenues dimanche dernier d’un sixième des électeurs inscrits, La République en marche pourrait remporter les trois quarts des sièges de la nouvelle Assemblée nationale : jamais dans notre histoire électorale, triomphe annoncé n’aura bénéficié d’un aussi fort effet de levier. Et depuis une semaine, on disserte à l’envi sur l’ampleur de l’abstention qui a rendu possible cette disproportion entre le nombre de voix engrangées au premier tour par le parti d’Emmanuel Macron et le nombre de députés qu’on lui promet à l’issue du second.
Disons-le d’emblée : ce taux d’abstention inédit ne remet nullement en cause la légitimité du scrutin. L’offre politique était suffisamment variée lors de ces élections législatives (jusqu’à 26 candidats dans une circonscription parisienne !) pour que tous les électeurs désireux de se faire entendre trouvent chaussure à leur pied. Tant pis pour ceux qui ont choisi de ne pas voter. Mais le résultat est là : si les tendances du premier tour se confirment dimanche, la prochaine Assemblée pourrait être démesurément dominée par un seul parti. Avec un enjeu non pas de légitimité mais de représentativité, dans la mesure où toute la France, loin de là, ne s’est pas mise en marche. Une Chambre introuvable (parce qu’elle refléterait mal la réalité du pays) risque de déplacer l’opposition de l’Hémicycle vers la rue. Les syndicalistes hostiles aux réformes, relayés par leur allié Jean-Luc Mélenchon, n’attendent que cela.
Les Républicains, quant à eux, savent bien qu’ils vont passer un sale dimanche, ne pouvant espérer sauver qu’une centaine de députés. Pourtant, ils auront leur utilité dans la prochaine Assemblée. D’abord parce que le projet d’En Marche ! est encore peu clair, excepté sur quelques mesures phares comme la (nécessaire) réforme du code du travail. Au sein du gouvernement, pour un Jean-Michel Blanquer qui a tout pour être un grand ministre de l’Education nationale, quelques autres semblent peu assurés sur la direction à suivre quand ils ne sont pas franchement inquiétants. Nous aurons besoin d’une opposition de droite pour alerter sur les sorties de route. D’autant qu’Emmanuel Macron et son équipe gouvernementale, même s’ils incarnent un renouvellement souhaitable aux yeux de beaucoup, ne sont déjà pas exempts de reproches, qu’on songe aux affaires immobilières de Richard Ferrand ou aux détestables pressions exercées par le garde des Sceaux François Bayrou sur des journalistes s’intéressant de trop près à son parti.
Mais il sera compliqué pour la droite de se camper en opposition crédible sans savoir vraiment en quoi elle s’oppose. Même s’ils étaient minoritaires, les candidats Les Républicains qui se sont ouvertement ralliés à Emmanuel Macron ont semé un vrai trouble. Quant aux autres, ils ont surtout fait campagne sur le refus d’une hausse de la CSG : un peu léger pour répondre aux interrogations existentielles de leur électorat. Pour Les Républicains, le plus difficile commence dimanche soir.
L’ENJEU D’EN MARCHE N’EST PAS SA LÉGITIMITÉ MAIS SA REPRÉSENTATIVITÉ DANS LE PAYS