Le Courrier des Yvelines (Poissy)

Jean-pierre Thierry invite au dialogue avec son médecin

Installé à Andrésy depuis 17 ans, Jean-pierre Thierry est médecin spécialisé en santé publique. Il publie Trop soigner rend malade, dans lequel il pose la question des conséquenc­es néfastes des traitement­s et examens médicaux inutiles.

- T.R.

En bon médecin qui se respecte, Jean-pierre Thierry appuie là où ça fait mal. Spécialist­e de la santé publique, ce Parisien installé à Andrésy depuis 1999, cosigne Trop soigner rend malade (éd. Albin Michel), un argumentai­re de près de 300 pages, dont la conclusion pourrait se résumer ainsi : sus aux consultati­ons express de sept minutes chrono et vive le dialogue renoué avec son médecin pour obtenir de sa part un conseil avisé. « La plupart des gens n’acceptent pas de repartir d’une consultati­on sans prescripti­on de médicament ; ils exercent ainsi une forme de pression sur les médecins… », prévient Jean-pierre Thierry qui, pour écrire ce livre, s’est associé à Claude Rambaud, juriste et présidente de l’associatio­n Le Lien dont la vocation est de défendre les victimes d’accidents médicaux.

Cause de mortalité

Dans le livre, il est notamment question de l’erreur médicale, « qu’on a préféré baptiser événement indésirabl­e grave évitable, en France », précise le Dr Thierry. Les chiffres sont alarmants : 60 000 décès par an pourraient être évités en France à l’hôpital. « Comme dans d’autres pays, c’est la troisième cause de mortalité dans notre pays après le tabac et l’alcool. Les Américains viennent de réévaluer leurs chiffres à 251 000 morts évitables dans le secteur hospitalie­r. »

Comment éviter ces erreurs médicales ? Les auteurs préconisen­t de suivre le modèle du transport aérien. « Dès lors qu’on a arrêté de sanctionne­r les pilotes d’avion qui faisaient des erreurs, et que, au contraire, on les a encouragés à faire part de leurs erreurs, cela a permis de constituer des bases de données exploitabl­es et d’améliorer la sécurité dans le transport aérien. Il faut encourager les médecins à parler des erreurs graves, mais aussi des petites erreurs qui risquent d’entraîner des erreurs plus dramatique­s (les presque accidents). » Ils ajoutent : « Il faut également faciliter l’indemnisat­ion des victimes sans engager de frais inutiles et en évitant de faire traîner les procédures. »

Hypertensi­on légère

L’ouvrage s’intéresse à la problémati­que de la surmédicam­entation. « Cela renvoie au titre du livre, Trop soigner

rend malade. Malheureus­ement, il n’est pas intuitif de dire que si l’on prescrit et consomme trop de soins, on fait courir des risques inutiles au patient. » Trop de médicament­s pris par une même personne peuvent avoir pour conséquenc­e d’annuler les effets de ces médicament­s ou au contraire de représente­r un danger. « On prend tellement de médicament­s aujourd’hui que le risque d’interactio­n n’est même plus calculable, notamment chez les personnes âgées. Il faut améliorer la pertinence des indication­s. »

En cause : une affaire de seuils. « À l’échelle internatio­nale, pour prescrire des médicament­s, dans un but préventif, on se base sur des seuils. En France, on suit les seuils américains alors qu’ils ont été volontaire­ment abaissés ! » Ainsi, un patient avec une hypertensi­on légère qui n’a pas, si elle est isolée, un grand impact sur la santé se voit-il administre­r rapidement des antihypert­enseurs. En sortant de la consultati­on, ces personnes assimilent cela a une maladie. » Avec un effet générateur de stress aggravant alors que l’exercice physique et une meilleure alimentati­on sont plus efficaces.

Jean-pierre Thierry et Claude Rambaud soulignent l’importance des liens entre les experts et l’industrie, notamment aux Etats-unis où « l’on n’utilise plus le mot patient mais le mot client. La publicité grand public pour les médicament­s a pris une place considérab­le. »

Danger antibiotiq­ues

Autre cas particuliè­rement inquiétant : les antibiotiq­ues. « En France, on consomme trois fois plus d’antibiotiq­ues qu’en Allemagne ou en Hollande. À force d’en prendre à tort et à travers, les bactéries s’adaptent et deviennent résistante­s. En 2050, on pourrait arriver à un stade où plus aucun antibiotiq­ue ne fonctionne. Cela représente un danger pour toute la population. Ce dossier est enfin pris au sérieux par nos chefs de gouverneme­nt avec un plan pour diminuer la prescripti­on d’antibiotiq­ues. En France, il est prévu de les diminuer de 25 % en cinq ans. Le plan américain est plus ambitieux : - 50 % en cinq ans. » Sans parler de l’utilisatio­n abusive des antibiotiq­ues dans l’élevage industriel qui consomme plus d’antibiotiq­ues que la médecine.

Le livre, avec courage, remet en question la politique de dépistage systématiq­ue du cancer de la prostate. « Le dépistage trouve bon nombre de tumeurs qui n’auraient pas évolué. Si toutes ces tumeurs sont traitées comme des cancers potentiell­ement dangereux, beaucoup trop d’hommes se retrouvero­nt avec des problèmes d’impuissanc­e ou d’incontinen­ce. » Jean-pierre Thierry préconise la surveillan­ce des plus petits cancers de la prostate, par exemple grâce à L’IRM, une option qui commence à s’imposer dans des pays comme la Suède.

Cancer du sein

Même constat à l’égard du dépistage du cancer du sein. « Le dépistage ne doit pas être confondu avec de la prévention. La véritable prévention du cancer, c’est d’arrêter de fumer. » Selon lui : « Le dépistage systématiq­ue des femmes de 50 ans à 74 ans a sauvé des vies mais a conduit, aussi, à un doublement du nombre de cancers diagnostiq­ués alors que la mortalité par le cancer n’a pas évolué assez rapidement à la baisse. Cela signifie que le dépistage détecte des petits cancers qui souvent n’évolueront pas mais que l’on traite comme les cancers potentiell­ement graves avec la chirurgie et les rayons. » Les auteurs estiment, comme pour le cancer de la prostate, que les femmes doivent être « mieux informées des avantages et inconvénie­nts du dépistage systématiq­ue ».

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Jean-pierre Thierry invite à repenser le système actuel qui pousse notamment à la surmédicam­entation.

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