La nuit des veilleurs
Journée internationale des Nations unies pour soutenir les victimes de la torture. Il n’en faisait pas moins pour que l’ACAT, mouvement oecuménique( 1), organise une soirée de témoignages et de prière, La Nuits des Veilleurs. Titre emblématique pour une action au long cours engagée il y a 43 ans et qui n’est pas prête de voir le bout de son chemin.
Pourquoi des Nuits ? Parce que la torture, cette lèpre persistante dans l’humanité, recouvre et étouffe sous une chape de ténèbres des plus humiliantes la conscience humaine. Même quand les tortionnaires justifient leurs actes par la recherche de renseignements pour éviter le pire.
Nuits des violences physiques sur des personnes arrêtées sans motif avouable, soumises à des interrogatoires musclées et emprisonnées dans des conditions sanitaires déplorables.
Nuits des consciences éteintes. Celles des bourreaux et surtout de leurs commanditaires, d’abord. Mais aussi celles de détenus qui à force de coups reçus et de pressions psychologiques sont poussés à ne plus résister, à entrer dans la léthargie de l’abdication jusqu’à accepter de mourir. Je n’en peux plus … A quoi bon ? Exprime leur détresse. Terrible et ultime résultat de tortionnaires briseurs d’humanité.
Nuits des relations rompues par les mises au secret avec impossibilité de parler à qui que ce soit. Ténèbres qui entravent et compliquent de longues démarches pour obtenir au moins l’assistance d’un avocat. Espoir éteint de visites des proches, refusées ou renvoyées aux calendes grecques pour de brèves rencontres aux parloirs.
Nuits de l’enfermement dans la douleur et dans la peur. Angoisse au bruit de la serrure qui s’ouvre pour de nouveaux interrogatoires, pour de nouveaux sévices.
L’esprit fétide de Nuit et brouillard(2) de sinistre mémoire répand encore ses miasmes dans le monde. Il infecter de nombreux pays.
Mais des ténèbres enveloppent aussi ceux qui s’en- gagent au nom des droits les plus élémentaires de l’homme dans la lutte contre cette infection. Elles sont ténèbres de l’indifférence et même de la méfiance et de la déconsidération.
Ils persistent pourtant en veilleurs soucieux de lutter contre ces exactions absolument inadmissibles. Leurs méthodes, tenaces, se fondent sur la longue patience d’enquêtes soutenues sur les cas de torture et sur la recherche rigoureuse de leurs tenants et aboutissants. Suivent la préparation de requêtes et de soutiens lancés et relancés jusqu’à l’aboutissement positif des démarches.
Au premier abord leur stratégie fait sourire. Faute de pouvoir intervenir directement par voie diplomatique ou politique, les veilleurs prennent leurs plumes. Ils rédigent et signent personnellement des lettres ! Non pas des courriers d’opposants indignés fleuris de reproches voire d’insultes mais des écrits respectueux des personnes de leurs fonctions. Ces missives rassemblent des données objectives, des informations avérées, des témoignages recoupés, avec des précisions de dates et de lieux. Des travaux de fourmis conduits par des juristes et des enquêteurs rigoureux, précèdent et accompagnent le rassemble- ment de ces données. Les veilleurs rappellent en même temps aux destinataires concernés les engagements de leurs pays au respect de conventions internationales, pourtant bafouées par leurs pratiques. Quand les lettres sont alors assez nombreuses elles font boule de neige ! Ceux qui les reçoivent finissent par être sensibles à leur effet de masse joint la large diffusion de leurs comportements répréhensibles dans les réseaux sociaux. Quand les résultats attendus ne sont pas aux rendez-vous espérés, les veilleurs ne baissent pas les bras. Ils continuent envers et contre tout leurs actions contre la torture et pour la justice. Chrétiens, ils prient pour les victimes dans un esprit de soutien fraternel venu de l’Évangile et aussi pour les bourreaux au nom du commandement de l’amour des ennemis. Car un homme même coupable reste un homme, rappel salubre de Monseigneur Saliège aux heures troubles de l’épuration(3).
(1) Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture.
(2) Nom de code de directives répressives du 3° Reich en 1941 contre ses opposants.
( 3) Dans un message proclamé Place du Capitole le 17 septembre 1944.