La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Rodolphe Belmer, un homme de médias pour réinventer TF1

- Pierre Manière @pmaniere

ÀL’AFFICHE- L’ancien dirigeant emblématiq­ue de Canal+ doit prendre ce jeudi les rênes de TF1. Il aura la lourde tâche d’adapter le groupe à l’ère du numérique, alors que les grandes plateforme­s américaine­s, comme Netflix, menacent le business model du numéro un français de la télévision gratuite.

Vendredi dernier, Rodolphe Belmer a quitté le conseil d’administra­tion de Netflix où il siégeait depuis 2018. Le paysage français des médias s’y attendait. Il faut dire qu’à 53 ans, l’ancien patron emblématiq­ue de Canal+, qui a dirigé ensuite Eutelsat puis Atos, doit prendre ce jeudi les commandes de TF1. Or aux yeux du numéro un français de la télévision gratuite, Netflix constitue une menace sérieuse. TF1 et l’« ancien monde » de la télévision linéaire redoutent plus que tout la concurrenc­e des grandes plateforme­s sur le front des contenus. Leur crainte ? Que ce « nouveau monde » vienne rogner leurs audiences et leurs précieuses recettes publicitai­res.

Empêcher que ce scénario noir se réalise, c’est justement la mission de Rodolphe Belmer. Le passage de témoin avec son prédécesse­ur, Gilles Pélisson, a débuté au début du mois. Ce dernier l’a inclus dans différents comités pour qu’il prenne progressiv­ement ses marques. Ce jeudi, Rodolphe Belmer sera officielle­ment proposé en conseil d’administra­tion comme directeur général du groupe, avant d’en devenir le PDG, le 13 février prochain.

TF1 doit trouver sa place

Le mois dernier, il a déjà précisé sa feuille de route : permettre à TF1 de « répondre aux multiples enjeux du nouveau monde des médias, et ouvrir au groupe de nouvelles perspectiv­es de développem­ent et de croissance à l’ère du digital » . L’enjeu est moins de concurrenc­er frontaleme­nt les Netflix, Amazon Prime ou Disney+, et leurs milliards d’investisse­ments annuels dans les contenus, que de permettre à TF1 de trouver sa place dans ce nouvel écosystème numérique. L’état-major de cette

filiale du groupe Bouygues estime avoir une carte à jouer dans le streaming, mais en jouant la carte locale, avec sans doute davantage de contenus « made in France ». Le projet devra être précisé. Il fait tout de même penser à celui de Vivendi, la maison-mère de Canal+, dont l’ambition, abandonnée depuis, était de bâtir un « Netflix d’Europe du Sud » .

Investir dans le streaming et y jouer un rôle de premier plan n’est pas simple. L’entreprise est coûteuse, gourmande en investisse­ments. A ce petit jeu, la taille compte. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle TF1 a tout tenté pour fusionner avec son rival M6, et disposer, ainsi, d’une plus grande puissance de feu. Mais ce méga-deal a été balayé par l’Autorité de la concurrenc­e. Résultat : TF1 et Rodolphe Belmer vont devoir se débrouille­r tout seul pour se développer dans ce créneau si stratégiqu­e de la vidéo à la demande.

Camper sur ses positions n’est pas une option

Aux yeux de TF1, camper sur ses positions n’est, en tout cas, pas une option. L’essor des plateforme­s de streaming pèsent sur les audiences, et par voie de conséquenc­e sur le marché de la publicité, sur lequel le champion français du petit écran vit depuis toujours. Mais ce marché pourrait aussi être attaqué directemen­t. Au 1er novembre, Netflix va notamment lancer en France une offre moins chère, mais incluant de la publicité...

Jusqu’à présent, Rodolphe Belmer s’est plutôt montré confiant dans la capacité de rebond de la télévision linéaire. A l’été 2018, il a déclaré aux Echos qu’il ne croyait « pas du tout que la télévision traditionn­elle (allait) disparaîtr­e au profit de l’OTT [des grandes plateforme­s, Ndlr] » . « Il n’y a aucun pays, même ceux où l’OTT est très développé, où la télévision traditionn­elle est sérieuseme­nt bousculée, expliquait-il, alors qu’il dirigeait Eutelsat. La cannibalis­ation de la télévision linéaire par l’OTT est seulement partielle. »

Un conflit à régler avec Canal+

Sa position a-t-elle changé ? Quoi qu’il en soit, c’est un fin connaisseu­r du nouveau comme de l’ancien monde qui rejoint aujourd’hui TF1. Nul doute qu’il mettra à profit, dans sa nouvelle maison, son expérience chez Netflix. Tout comme les près de 15 ans qu’il a passé chez Canal+, jusqu’à en devenir directeur général, avant d’être évincé après la prise de contrôle de Vivendi par Vincent Bolloré.

Des dossiers chauds l’attendent, d’ailleurs, déjà avec Canal+. Cela fait des semaines que TF1 et Canal+ sont à couteaux tirés. La filiale de Vivendi a décidé de couper la diffusion de TF1 sur son offre satellitai­re. Les deux groupes n’arrivent pas à s’entendre sur le renouvelle­ment d’un contrat de distributi­on, et ont porté l’affaire en justice. Jusqu’à présent, c’est Canal+ qui a obtenu gain de cause. Mais d’après nos informatio­ns, les deux coqs sont désormais revenus à la table des négociatio­ns. Il faut dire que le temps presse, à moins d’un mois, notamment, du Mondial de football au Qatar, dont TF1 diffusera tous les matchs de l’équipe de France. Dans ses négociatio­ns avec Canal+, Rodolphe Belmer retrouvera une vieille connaissan­ce : Maxime Saada, l’actuel dirigeant de la filiale de Vivendi. Ce dernier lui a succédé quand il a quitté Canal. Les deux hommes, autrefois très proches, se respectent, dit-on. Mais les affaires sont les affaires : personne, pour sûr, ne se fera de cadeau.

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A 53 ans, Rodolphe Belmer est le nouvel homme fort de TF1. (Crédits : DR)
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