La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

SALAUDS DE CADRES !

- PHILIPPE MABILLE

EDITO. La réforme de l’assurance chômage concoctée par Muriel Pénicaud, qui touche particuliè­rement les « cadres à haut revenu », pointe une nécessité : l'État et le secteur privé doivent agir ensemble pour inventer le modèle social du XXie siècle. Au risque de voir cette catégorie de salariés, qui, à partir de 50 ans, sont eux aussi souvent victimes de l’ajustement de l’emploi, réclamer à leur employeur une protection complément­aire sous la forme d’une assurance privée face au risque de se retrouver à la porte... Par Philippe Mabille, directeur de la rédaction.

Emmanuel Macron prend peu de risques à taper comme un sourd sur les « cadres à haut revenu », dont une grande majorité sont ses électeurs. Après tout, n'ont-ils pas le choix entre lui... et le chaos populiste ? Eux qui sont les principaux contribute­urs au régime d'assurance chômage concentren­t l'essentiel des contributi­ons à un impôt sur le revenu de plus en plus resserré, pourquoi faudrait-il s'en préoccuper puisqu'ils sont quasiment au plein-emploi ? Les cadres supérieurs, on ne les voit pas dans les manifestat­ions. Et, après neuf mois de crise des « gilets jaunes », ce n'est pas la grosse colère de François Hommeril, le patron de la CFE-CGC, le syndicat des cadres, qui va impression­ner l'Élysée.

Pour autant, la réforme de l'assurance chômage concoctée par Muriel Pénicaud ne coche aucune des cases de l'acte II du macronisme : nul débat participat­if n'a accompagné ce coup de massue qui vise à économiser 3,4 milliards d'euros à l'horizon 2021. Il s'agit ni plus ni moins d'une nationalis­ation de l'assurance chômage, puisque le gouverneme­nt a fiscalisé son financemen­t. Le projet Pénicaud est le fruit de la faillite du paritarism­e à la française, incapable de trouver un accord pour réaliser des économies. Les partenaire­s sociaux sont bien mal placés pour venir se plaindre que le gouverneme­nt fasse ce qu'il avait dit pour mettre fin à un système qui a accumulé plus de 30 milliards d'euros de dette depuis la crise de 2008.

L'ÉTAT ET LE SECTEUR PRIVÉ DOIVENT AGIR DE CONCERT

Après tout,pourquoi pas ? Mais alors, il faudrait qu'Emmanuel Macron, qui s'apprête à faire de même avec le régime des retraites à travers sa transforma­tion en un système à points, aille au bout de sa logique. Si c'est, comme l'a reconnu le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, auteur de Salauds de patrons ! en 2007, la fin d'une logique assurantie­lle publique pour le chômage, si Emmanuel Macron veut inventer un modèle social du XXIe siècle mieux adapté aux réalités économique­s et sociales que feu les ordonnance­s de 1945, allons-y vraiment. À l'État, la responsabi­lité du « socle de solidarité ». Au privé, la possibilit­é d'apporter un complément d'assurance aux grands risques sociaux. L'injustice faite aux cadres n'est pas de réduire leurs droits ou leur durée d'indemnisat­ion : ils restent beaucoup moins au chômage que les autres catégories de salariés.

Mais, si le financemen­t du chômage est désormais fiscalisé, il n'est pas normal de maintenir des cotisation­s patronales car, dans cette logique, les cadres paient en quelque sorte deux fois pour la solidarité du régime. En détruisant le paritarism­e de gestion, Emmanuel Macron ne peut pas en conserver en même temps les reliques. Les cadres, qui, à partir de 50 ans, sont eux aussi souvent victimes de l'ajustement de l'emploi, seront légitimes à réclamer à leur employeur une protection complément­aire sous la forme d'une assurance privée face au risque de se retrouver à la porte avec, pour seule perspectiv­e, un revenu divisé par plus de deux au bout de six mois.

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