Renforcer le pouvoir limité de l’Europe
Après le séisme électoral du 25 mai, il ne faut ni moins ni davantage d’Europe. Il faut une Union qui remplisse pleinement son mandat et fasse son travail, notamment en gérant correctement l’euro.
Les résultats des élections parlementaires européennes du 25!mai sont aussi déconcertants qu’ils sont choquants. Aucune théorie ne permet en effet d’expliquer les différents résultats nationaux. En Allemagne, où les politiques d’assistance financière de l’Union européenne et les initiatives de la BCE ont suscité une profonde controverse, la campagne électorale s’est révélée remarquablement terne et consensuelle. En revanche, en France, où ni les unes ni les autres n’ont fait l’objet de débat au moment de la crise, elle a tourné autour des thèmes des eurosceptiques. Ni les variables économiques de type croissance du PIB, ni les variables sociales telles que le chômage ne peuvent expliquer pourquoi l’Italie a voté en masse pour le Parti démocrate de centre-gauche du Premier ministre Matteo Renzi, alors que la France mettait en tête le Front national. Au sein des pays excédentaires, les eurosceptiques se sont révélés puissants en Autriche, mais pas en Allemagne. Parmi les pays déficitaires, la Grèce s’est tournée vers la coalition d’extrême gauche Syriza d’Alexis Tsipras, tandis que les anciennes forces politiques dominantes, les partis Nouvelle Démocratie et Pasok, réunissaient ensemble moins d’un tiers du vote populaire. Au Portugal, en revanche, la domination des partis traditionnels s’est maintenue. Plus l’on se penche sur les chiffres, et plus ils apparaissent déroutants. LA CROISSANCE ET L’EMPLOI FONT CONSENSUS Ces élections auraient pu donner l’occasion d’un bilan et d’une sanction populaire sur ce qui a été fait depuis cinq ans. Mais, d’un pays à l’autre, ce n’est pas le même débat. Il y a là un problème sérieux pour les dirigeants européens#: le séisme électoral a été suffisamment puissant pour qu’ils se sentent obligés de répondre au mécontentement économique et politique de leurs citoyens, mais ils ne savent pas quelle réponse apporter. Sur le front économique, les premières discussions postélectorales ont révélé un consensus sur l’idée de faire plus pour la croissance et l’emploi. Il est difficile d’être en désaccord. La performance européenne est médiocre, particulièrement en comparaison avec celle des États-Unis qui, bien qu’ayant souffert du même choc il y a six ans, ont connu une reprise beaucoup plus solide de la production et de l’emploi. L’UE ne saurait nier sa part de responsabilité dans cette situation#: le choix de procéder à l’ajustement budgétaire sans avoir au préalable apuré les bilans bancaires s’est révélé une erreur collective. Il importe néanmoins que les dirigeants européens s’abstiennent de formuler des promesses qu’ils ne seront pas capables de tenir. L’Europe a derrière elle une longue tradition de proclamations sans suite qui n’aboutissent qu’à des déceptions. Quelques milliards ici ou là ne sauraient faire la différence dans une économie de 13#000!milliards d’euros. Appeler à nouveau la Banque européenne d’investissement à appuyer les investissements et l’innovation ne changera pas son aversion au risque. Et réaffirmer l’attachement de tous à des finances publiques saines ne changera pas des ménages inquiets en consommateurs débridés. Si les dirigeants de l’UE entendent véritablement soutenir la croissance et l’emploi, ils feraient bien de s’attacher à réparer un marché européen qui dans plusieurs secteurs n’a plus d’«!unique!» que le nom, et de créer ainsi les conditions d’une croissance plus rapide des entreprises les plus innovantes et les plus efficaces. Ils devraient aussi mettre sur pied des financements pour les infrastructures critiques – pas seulement en construisant des lignes de TGV vers des zones reculées, mais en interconnectant systèmes énergétiques et systèmes de communications névralgiques. L’UE DOIT HONORER SES OBLIGATIONS Il leur incombe par ailleurs de clarifier l’évolution future des prix du carbone. C’est de prévisibilité que les entreprises ont besoin pour investir dans les économies d’énergie et les énergies propres. Il leur faudrait également concevoir un mécanisme susceptible d’aplanir les écarts entre le coût du crédit dans le nord et dans le sud de la zone euro. Il faudrait en outre que les dirigeants de l’UE s’attachent à promouvoir l’investissement privé dans les secteurs des biens échangeables des pays du sud de l’Europe. Et il serait judicieux d’investir davantage dans la formation et l’aide à la mobilité des jeunes chômeurs. Enfin, et ce n’est pas le moins, il faudrait que les responsables européens cherchent comment limiter l’excès d’épargne dans la zone euro, afin de contenir la pression à la hausse sur le taux de change de leur monnaie. Mais s’ils ne parviennent pas à s’entendre, il leur faudra en tout état de cause résister à la tentation de dissimuler sous le tapis la poussière de leurs différends. Sur le front politique, le débat porte sur la question de ce que l’UE doit désormais ambitionner d’être. La tentation postélectorale est d’y apporter une seule et unique réponse#: moins. Suivre cette voie serait une erreur compréhensible, mais quand même une erreur. Bien que les citoyens soient divisés quant au degré d’intégration qui est au bout du compte souhaitable, ils partagent clairement la conviction qu’à tous les niveaux les gouvernements doivent apporter des résultats. Ceci vaut pour aussi l’UE, notamment pour l’euro. Selon un récent sondage, les trois quarts des Français doutent que l’euro ait été une bonne idée. Une même proportion est tout aussi convaincue qu’il ne faut pas en sortir. Le message adressé aux institutions de l’UE est clair#: nous avons peut-être fait une erreur, mais la décision a désormais été prise, et votre rôle consiste à faire fonctionner l’euro. Autrement dit, il est peu probable que les citoyens de l’Europe approuvent quelque projet destiné à étendre le champ de l’autorité de l’UE#; mais ils restent très conscients de la nécessité pour l’UE d’honorer ses obligations dans le domaine qui est le sien. Peu avant sa mort, l’ancien membre du conseil de la BCE et ancien ministre italien des Finances, Tommaso PadoaSchioppa, avait eu une formule saisissante#: «!Nous confondons souvent pouvoir limité avec pouvoir faible, c’est-à-dire privé des outils nécessaires pour agir au sein de sa sphère d’autorité. Or, seule cette sphère d’autorité doit être limitée, et non le pouvoir d’agir dans le cadre de ces limites.!» Les dirigeants européens feraient bien d’adopter cette maxime#: l’heure n’est pas à davantage d’Europe, mais à une Europe qui remplisse pleinement son mandat.