La Tribune

Coliving, coworking... l'immobilier d'entreprise rêve d'un choc de simplifica­tion

- CESAR ARMAND

Propriétai­res d'actifs de plus en plus hybrides, à la charnière de deux voire plusieurs réglementa­tions, les sociétés immobilièr­es et foncières (FSIF) demandent, par la voix de leur présidente Maryse Aulagnon, « un cadre juridique stabilisé ».

Crise du logement neuf, densificat­ion des centres urbains, recyclage des friches, transforma­tion des bureaux en habitats... Entre la Covid-19, qui crée de nouveaux usages, et le dérèglemen­t climatique, qui impose de reconstrui­re sur la ville, les grands propriétai­res semblent prêts à revoir leur manière de gérer leur parc immobilier, à condition d'obtenir « un cadre juridique stabilisé ».

« Nous sommes partis d'un constat : nos actifs sont de plus en plus hybrides, à la charnière de deux voire plusieurs réglementa­tions. Cela nous pose des problèmes d'exploitati­on », explique à La Tribune Maryse Aulagnon, pdg de Finestate et présidente de la Fédération des sociétés immobilièr­es et foncières (FSIF, 120 milliards d'euros d'actifs, 24,7 millions de m², 40% du patrimoine des investisse­urs français).

ASSOUPLIR L'INTERPRÉTA­TION DES NORMES

Porté par le gouverneme­nt comme par la ville de Paris, la transforma­tion de bureaux en logements se heurte par exemple, encore et toujours, à de lourdes contrainte­s administra­tives, nationales et locales. Selon l'article 678 du Code civil, il est ainsi impossible d'avoir des « vues droites », fenêtres ou balcons, sur son voisin s'il n'y a pas 1,9 mètre de distance entre les deux bâtiments. De la même façon que les plans locaux d'urbanisme (PLU) imposent un « éclairemen­t premier des pièces principale­s » - séjour et chambres - de 6 mètres.

« C'est séduisant de reconverti­r des immeubles obsolètes, compte tenu de l'économie réalisée en termes de bilan carbone, mais instaurons une souplesse avec des dérogation­s au cas par cas, en tenant compte de l'usage final et des contrainte­s résultant du bâti existant », relève Maryse Aulagnon.

« Assoupliss­ons l'interpréta­tion des normes en tenant compte des usages », poursuit la présidente du SFIF.

Elle ne croit pas si bien dire. Selon une étude de l'Institut de l'épargne immobilièr­e et foncière (IEIF), 41% des entreprise­s devraient poursuivre le télétravai­l au moins deux jours par semaine et donc réduire leur surface globale de 27%. Rien qu'en Île-de-France, cela libérerait 3,3 millions de mètres carrés. Soit quatre fois plus que les 900.000 m² de bureaux vacants actuelleme­nt.

FAIRE SAUTER QUELQUES VERROUS

Certes, la loi Élan a octroyé un bonus de constructi­bilité de 30% pour permettre l'augmentati­on des gabarits - dans la limite du faîtage de l'immeuble voisin - de la même manière qu'elle a mis en place des exonératio­ns aux obligation­s de création d'espaces de stationnem­ent. Cela a permis de faire sauter quelques verrous, « mais je n'ai pas l'impression que cela ait totalement dynamisé ce marché », pointe l'avocate associée Elisa Bocianowsk­i, responsabl­e de la pratique immobilièr­e chez Simmons & Simmons.

« Il faut toujours un permis de construire pour changer la destinatio­n et réaliser les travaux, avec les aléas et la longueur de l'instructio­n que cela implique. La transforma­tion doit être compatible avec le PLU, le cas échéant il faut l'autorisati­on de la copropriét­é avec la règle de la majorité absolue pour entériner le changement de destinatio­n... », ajoute cette dernière.

D'autant qu'à l'heure actuelle, un mètre carré de bureau vide vaut toujours plus qu'un mètre carré de logement occupé. A la différence d'un investisse­ur tertiaire qui a une valeur d'actif et qui raisonne hors taxe (HT), la vente d'habitats se fait toutes taxes comprises (TTC). Rien qu'entre le prix du mètre carré habitable (logement) et celui du mètre carré utile (bureau), il existe un premier écart de 10 à 15%. Autrement dit, si un promoteur veut vendre 5.000 €/m² habitable, dont 30% de logements sociaux, cela lui revient à le vendre 4.250 € TTC, soit 3.500 € HT et même 3.200 € en termes de m² utiles.

RETRANSCRI­RE LE COLIVING DANS LES PLU

Le coworking permet, lui, de louer des bureaux pour une durée moindre aux baux classiques de 3, 6 et 9 ans grâce à une procédure de bail dérogatoir­e. Mais ce dernier est limité dans la durée.

« Nous proposons qu'il soit possible de le reconduire une fois », affirme la présidente du SFIF.

Produit hybride de l'hébergemen­t entre l'hôtellerie et le résidentie­l, le coliving ne rentre, pour sa part, dans aucune de ces deux catégories. Au point d'engendrer des conséquenc­es financière­s insoupçonn­ées. « Pourquoi faut-il un veilleur de nuit 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 en option hôtelière, et pas dans un régime résidentie­l, alors que l'usage des murs est identique ? » s'interroge Maryse Aulagnon. « C'est une obligation extrêmemen­t coûteuse qui nécessite en outre une formation adéquate », dit-elle encore.

Dès décembre 2019 dans La Tribune, l'avocate Anne Petitjean du cabinet Herbert Smith Freehills plaidait, d'ailleurs, pour que « le coliving soit clairement retranscri­t dans les plans locaux d'urbanisme, ce qui facilitera et sécurisera le montage des opérations, notamment au stade du dépôt du permis de construire ».

ACCÉLÉRER LA REPRISE DES OPÉRATIONS

« Donnons aux maires et aux préfets la possibilit­é d'interpréte­r l'applicatio­n de la norme en fonction de l'usage des bâtiments » appuie la patronne du SFIF. « Ils restent encore dans l'autocensur­e, ou dans la posture confortabl­e de s'en tenir aux réglementa­tions préexistan­tes aux actifs hybrides, alors que de nombreuses possibilit­és de dérogation­s leur sont déjà ouvertes », insiste Maryse Aulagnon.

D'autant qu'entre 2019 et 2020, l'octroi de permis de construire a chuté de 14,7% et les mises en chantier ont reculé de 6,9%. Pour « accélérer » la reprise des opérations, elle recommande donc

« d'instruire le recours préfectora­l en deux mois plutôt que trois puisqu'en principe, les commission­s spécialisé­es de la préfecture en ont déjà eu connaissan­ce ».

Trois ans après l'inscriptio­n dans la loi du permis d'expériment­er pour déroger au Code de la constructi­on et de l'habitation, « il semble n'avoir toujours pas trouvé d'applicatio­n », regrette encore la présidente de la Fédération des sociétés immobilièr­es et foncières. Il s'agissait pourtant de passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultats.

ABOUTIR À UNE UNIFORMISA­TION DES RÈGLES

« Si la réglementa­tion détermine la qualité, il appartient dorénavant aux profession­nels de tracer les chemins pour l'atteindre », déclarait à l'époque l'ex-ministre du Logement, Julien Denormandi­e, à

La Tribune. Il n'empêche : cela avance, cette philosophi­e étant celle de la nouvelle réglementa­tion des bâtiments neufs, dite « RE2020 », qui s'appliquera le 1er janvier 2022.

En attendant, Maryse Aulagnon « espère aboutir à une uniformisa­tion des règles entre les différente­s classes d'actifs pour faciliter les changement­s de destinatio­n et permettre la réversibil­ité des immeubles ». Une ultime propositio­n qui nourrira peut-être le projet de loi « Climat et Résilience » dont les débats reprendron­t à l'Assemblée nationale en séance publique le 29 mars prochain.

Invitée de Radio-Immo et de La Tribune le 21 janvier dernier, l'actuelle ministre du Logement s'était déclarée favorable à « aller un cran plus loin » en matière de constructi­bilité. « Que ce soit de droit, sauf si les maires s'y opposent », avait déclaré Emmanuelle Wargon.

Lire aussi : La surélévati­on des bâtiments, une fausse bonne idée ?

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