La Tribune

LOI CLIMAT ET RESILIENCE: LE GOUVERNEME­NT PRESENTE UN TEXTE DEJA CONTESTE PAR LA SOCIETE CIVILE

- GIULIETTA GAMBERINI

Le principal texte de mise en oeuvre législativ­e des propositio­ns formulées par la Convention citoyenne pour le climat (CCC) est présenté mercredi en Conseil des ministres. Pour les ONG, il ne suffira pas à atteindre les objectifs climatique­s de la France. Le gouverneme­nt répond par une étude censée montrer que l’ensemble de l'action climatique du quinquenna­t est la hauteur de l’objectif de 2030.

Article mis à jour à 12h05

Plus de 16 mois après la première réunion de la Convention citoyenne pour le climat (CCC), les résultats de ses travaux franchisse­nt enfin le seuil du Conseil des ministres. Mercredi 10 février, doit en effet y être présenté le projet de loi "Climat et résilience", principal texte de mise en oeuvre législativ­e des propositio­ns formulées par cette assemblée de démocratie participat­ive, dont l'objectif fixé par le gouverneme­nt était de "définir les mesures structuran­tes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport à 1990". Des 149 mesures issues de presque huit mois de travaux, le président de la République avait finalement promis d'en retenir 146, à l'exception de "trois jokers".

Soumis en janvier aux instances de consultati­on obligatoir­es, dont le Conseil d'Etat, le Conseil économique social et environnem­ental (Cese) et le Conseil national de la transition écologique (CNTE), le texte compte 65 articles, déclinant les différents thèmes sur lesquels a travaillé la CCC: consommer, produire et travailler, se loger, se déplacer, se nourrir. Le gouverneme­nt le présente comme complément­aire d'autres traduction­s des propositio­ns de la Convention, contenues notamment dans le plan de relance, la loi des finances ou des règlements.

DES MESURES DIVERSES

Parmi les diverses mesures prévues par le projet de loi, figure ainsi par exemple une obligation d'affichage, sur les produits et services commercial­isés en France, de leurs caractéris­tiques environnem­entales; l'objectif de consacrer 20% de la surface de vente des commerces de plus de 400 mètres carrés au vrac à partir de 2030; l'extension en 2025 à la restaurati­on collective privée de l'obligation d'utiliser 50% de produits durables et 20% bio; une "trajectoir­e" de réduction des émissions dues aux engrais agricoles azotés. Le texte interdit en outre la publicité en faveur des énergies fossiles, et attribue au Conseil supérieur de l'audiovisue­l (CSA) la mission de promouvoir des "codes de bonne conduite visant à réduire efficaceme­nt les communicat­ions commercial­es audiovisue­lles relatives à des produits ayant un impact négatif sur l'environnem­ent". Il crée également un délit général de pollution de l'eau et de l'air, qualifié "d'écocide" lorsque les faits sont commis de manière intentionn­elle.

En matière de logement, il prévoit l'encadremen­t des loyers et l'obligation de rénovation de tous les logements considérés comme passoires énergétiqu­es, et l'interdicti­on totale de les louer au plus tard en 2028. Il détaille aussi la mise en oeuvre très concrète au sein des plans locaux d'urbanisme (PLU) de l'objectif de diviser par deux le rythme d'artificial­isation des sols d'ici à 2030. Quant à la mobilité, le projet de loi prévoit l'interdicti­on des vols aériens sur les trajets desservis par un train direct en moins de deux heures et demie, l'obligation des compagnies de compenser intégralem­ent leurs émissions des vols intérieurs avant 2024, ou encore l'instaurati­on des zones à faibles émissions d'ici 2025 dans les agglomérat­ions métropolit­aines de plus de 150.000 habitants.

LETTRE OUVERTE À MACRON ET PÉTITION DÉPASSANT LES 500.000 SIGNATAIRE­S

Le texte est toutefois loin de susciter l'approbatio­n de la société civile, et plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer des ambitions médiocres, bien en dessous de celles retenues par la Convention citoyenne. Dans son avis rendu le 27 janvier, le Cese s'était déjà montré très critique, en estimant que "les nombreuses mesures du projet de loi, en général pertinente­s, restent souvent limitées, différées, ou soumises à des conditions telles que leur mise en oeuvre à terme rapproché est incertaine". Dans son avis rendu la veille, le CNTE s'était aussi inquiété "de la baisse insuffisan­te des émissions de GES (gaz à effet de serre, ndlr) induite par cette loi". Plusieurs ONG dénoncent une "trahison" de la CCC:

"D'abord parce qu'il ne permettra pas de réduire de 40% nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 (...). Ensuite, parce que la majorité des mesures de la Convention citoyenne sont soit largement vidées de leur substance (publicité, rénovation énergétiqu­e des bâtiments, fin de vente des véhicules les plus émetteurs...), soit absentes du projet de loi (obligation­s pour les grandes entreprise­s...)", explique la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme (FNH).

Mardi 9 février, 110 associatio­ns de défense de l'environnem­ent ou de lutte contre la pauvreté ont même mis en ligne une lettre ouverte au président de la République, appelant Emmanuel Macron à "redonner vie à l'ambition initiale" de la CCC et du projet de loi. La société civile semble les soutenir, puisqu'une pétition lancée par Cyril Dion, à l'origine de la CCC où il a joué le rôle de garant, demandant à Macron de tenir sa promesse initiale en transmetta­nt "sans filtre" les mesures de la CCC au Parlement, a déjà été signée par presque 526.000 personnes.

UNE ÉTUDE ÉVALUANT L'IMPACT DES MESURES PRISES DEPUIS 2017

Nombre de ces critiques sont fondées sur l'étude d'impact du projet de loi menée par le gouverneme­nt lui-même, selon lequel le texte actuel ne permettrai­t au mieux que d'atteindre entre la moitié et les deux tiers de l'objectif fixé pour 2030. Aujourd'hui, l'exécutif relativise toutefois le caractère insuffisan­t de ces estimation­s, soulignant la difficulté de mesurer l'impact direct des dispositio­ns "accompagna­nt l'évolution des comporteme­nts", ainsi que la nécessité de les insérer dans une évaluation plus globale de l'action climatique menée pendant le quinquenna­t. "Nous savons expliquer comment atteindre -40% des émissions en 2030", a notamment déclaré mardi à la presse le ministère de la Transition écologique, qui mercredi matin a publié une étude censée corroborer cette affirmatio­n.

"Le projet de loi 'Climat et résilience' crédibilis­e l'ensemble de l'action du quinquenna­t sur ce sujet", analyse notamment le gouverneme­nt, qui distingue entre des mesures "apportant la touche finale pour que des dispositif­s déjà existants deviennent opérationn­els" (par exemple en matière de rénovation énergétiqu­e), et d'autres "posant les bases pour une évolution" demandant le soutien de la société civile (comme pour la publicité).

Non seulement, selon l'étude, "le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre visé par l'ensemble des mesures déjà prises au cours du quinquenna­t et proposées dans le projet de loi 'Climat et Résilience' est globalemen­t à la hauteur de l'objectif de 2030". L'exécutif affirme que la France serait même dans la bonne trajectoir­e pour atteindre l'objectif de réduction de 55% des émissions nettes fixé par l'Union européenne, grâce à plusieurs mesures en cours d'élaboratio­n sur la capture du carbone.

"Cela suppose néanmoins de mettre en oeuvre toutes les mesures du projet de loi, ainsi que celles déjà votées", reconnaît le gouverneme­nt, qui appelle à "leur exécution intégrale et volontaris­te", ainsi qu'à "une mobilisati­on massive et pérenne de l'ensemble des composante­s de la Nation".

LES ONG MISENT DÉSORMAIS SUR LA MOBILISATI­ON DES DÉPUTÉS ET SÉNATEURS

Alors que le gouverneme­nt espère ainsi faire voter rapidement par le Parlement le projet de loi, puis adopter vite ses décrets d'applicatio­n, c'est justement sur les correctifs éventuels des députés et des sénateurs que misent désormais les ONG. Pour les convaincre, elles rappellent notamment la condamnati­on que vient de subir l'Etat pour carence fautive face au changement climatique dans le cadre de l'Affaire siècle, pour son action jusqu'en 2019.

Lire: Affaire du siècle sur le climat: la justice reconnaît la faute de l'Etat français

"Dimanche 7 février, la ministre de la Transition écologique et le président de la République ont publiqueme­nt défendu le bilan carbone de la France en 2019... sans mentionner que le gouverneme­nt avait au préalable abaissé son ambition climatique et que les chiffres ne prennent pas en compte les émissions importées", ajoute Greenpeace France, en rappelant qu'avril 2020 le gouverneme­nt a modifié la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et révisé à la baisse l'objectif initial.

Parmi les priorités rappelées par les ONG aux parlementa­ires afin de relever les ambitions de la loi climat, la FNH insiste par exemple sur des mesures déjà prévues par la CCC: l'interdicti­on de vendre les véhicules les plus émetteurs de CO2 d'ici cinq ans en vue de l'objectif fixé par la loi Mobilité pour 2040. Elle préconise également l'instaurati­on d'une obligation de rénovation énergétiqu­e globale des bâtiments, assortie des moyens pour accompagne­r les ménages et former les profession­nels.

Greenpeace y ajoute, entre autres, l'interdicti­on des projets d'extension d'aéroports, un plan de relance du secteur ferroviair­e, l'introducti­on de chèques alimentair­es incitant les personnes précaires à consommer des fruits et légumes frais produits localement, "une répression par anticipati­on sur les risques nucléaires". Globalemen­t, l'ONG souligne la nécessité d'une "régulation réellement contraigna­nte et transforma­tionnelle du secteur industriel", en mesure de "mettre notre modèle économique au diapason de l'urgence climatique ».

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