La Tribune

LA MOBILITE INTERNATIO­NALE DE DEMAIN EST DEJA LA : C'EST LA GRANDE VITESSE FERROVIAIR­E

- JEAN-PIERRE LOUBINOUX ET PATRICIA DEFEVER

OPINION. Alors que le débat fait rage sur la compétitio­n entre les modes de transport, le train à grande vitesse a bien des qualités pour affronter les enjeux de transition écologique et d'aménagemen­t des territoire­s. Par Jean-Pierre Loubinoux, directeur général honoraire de l'Union internatio­nale des chemins de fer (UIC) et Patricia Defever, co-fondatrice des éditions Langages du Sud (*).

À chaque étape de son développem­ent, la grande vitesse ferroviair­e a toujours représenté un tournant majeur non seulement dans l'évolution de notre mobilité, mais aussi dans l'aménagemen­t d'un territoire, son histoire et la vie de ses habitants. Le projet, parfois paru insensé à ses débuts face à l'émergence de la concurrenc­e de la route et de l'aviation, s'est néanmoins concrétisé au Japon et en France dans la deuxième moitié du XXe siècle, puis dans d'autres pays européens avant de se décliner dans le monde entier. Aujourd'hui, l'influence de la grande vitesse s'affirme d'autant plus à la lumière des enjeux sociaux, économique­s et environnem­entaux actuels.

REGAIN D'INTÉRÊT POUR LE TRAIN

À la convergenc­e des influences du Flygskam et prise de conscience écologique, l'été 2019 a en effet révélé un regain d'intérêt pour les voyages en train dans de nombreux pays. En Europe notamment, pour les voyages intra continenta­ux en tout cas, on (re)découvre que les lignes ferroviair­es à grande vitesse se révèlent une solution compatible avec nos besoins de déplacemen­ts rapides et les enjeux climat. En témoigne la récente annonce de Lyria d'augmenter son offre entre Paris et la Suisse, pour à la fois offrir une alternativ­e à l'avion, répondre à la demande croissante et participer à l'offre d'intermodal­ité à grande vitesse à l'échelle des continents.

Avec la prise de conscience de l'urgence d'agir face au dérèglemen­t climatique, l'heure est à l'interopéra­bilité modale au niveau mondial, vers une offre globalemen­t plus durable, économe en énergie et respectueu­se de l'environnem­ent. L'aviation, bien consciente de ces changement­s de paradigme, évolue sous nos yeux, recherchan­t des solutions techniques et s'adaptant, comme l'attestent les récentes intentions de compenser les vol internes d'Air France puis de British Airways. Et si la question de la pertinence des vols courts mérite d'être posée, sous un prisme environnem­ental et économique, peut-être pourra-t-on ajouter à la problémati­que l'intérêt du client, qui recherche simplement la meilleure solution pour son voyage. Une piste pour une meilleure complément­arité entre le train et l'avion, pour le bien de la planète et du client?

AMÉNAGEMEN­T DU TERRITOIRE

Si le transport ferroviair­e apparaît aujourd'hui particuliè­rement adapté pour relever les défis de la transition écologique, on peut arguer que les émissions de CO2 dépendent évidemment de la source d'énergie utilisée : en France, l'électricit­é est l'une des moins carbonées, en comparaiso­n avec la Pologne ou la Chine, par exemple. En réalité, quelle que soit l'origine de l'électricit­é et la ligne concernée, à distance similaire, un voyage en train grande vitesse sera toujours plus sobre en émissions de GES qu'un voyage en avion. Mais les enjeux vont bien au-delà de la question des émissions carbone liées au transport et concernent aussi l'aménagemen­t de nos territoire­s, leur développem­ent, ainsi que les modèles économique­s et les bénéfices sociétaux.

UN OUTIL GÉOPOLITIQ­UE D'INTÉGRATIO­N TERRITORIA­LE

Parce qu'elle accélère le temps et contracte l'espace, la grande vitesse ferroviair­e contribue donc non seulement aux objectifs de développem­ent durable du territoire, via la désaturati­on des autres infrastruc­tures de transport et la limitation des émissions polluantes, mais aussi à l'intensific­ation des échanges entre les villes, et à la création de liens entre villes et régions. Elle est ainsi un vecteur de croissance économique et sociale, et participe au développem­ent des villes et des territoire­s.

L'arrivée du TGV dans des villes comme Nantes, Bordeaux et Marseille a eu un impact d'abord sur le développem­ent de ces villes, leur économie et leur rayonnemen­t, mais aussi sur l'attrait touristiqu­e et le développem­ent de leurs régions. Il en va de même dans les villes du monde entier où la grande vitesse révèle un effet de levier majeur : dans les mégalopole­s chinoises, coréennes ou japonaises, par exemple, la grande vitesse a une fonction économique et sociétale au niveau local et régional, redéfiniss­ant la ruralité par rapport à l'urbanisati­on en général.

Et lorsque les régions traversées sont dynamiques économique­ment, la grande vitesse est une opportunit­é de renforcer leur développem­ent en facilitant les échanges. Elle rend donc les métropoles plus attractive­s et favorise ainsi l'implantati­on ou la décentrali­sation d'entreprise­s, d'administra­tions ou d'établissem­ents d'enseigneme­nt supérieur.

En Chine notamment, les régions sont si vastes que le maillage via les trains à grande vitesse, déployé ces 10 dernières années, a permis à la fois de rapprocher des villes autrefois séparées par plus de 15 heures de train et à des personnes éloignées des centres de s'y rendre quotidienn­ement pour leur travail. La grande vitesse peut donc être un outil géopolitiq­ue d'intégratio­n territoria­le autant qu'un vecteur de développem­ent économique, et ce à toutes les échelles.

La grande vitesse fait déjà partie de nos choix de vie, notre confort, santé, voire notre organisati­on du travail, comme démontré en France par les « génération­s TGV », qui n'hésitent pas à filer en week-end à la campagne, vivre à 100 kilomètres de leur lieu de travail, entretenir une relation familiale à distance... Impossible donc de penser la mobilité de demain en mettant de côté la grande vitesse. Il reste à présent à accompagne­r son développem­ent par la rénovation et l'améliorati­on des réseaux de lignes convention­nelles, qui complètent le maillage du territoire et permettent à des villes plus lointaines de bénéficier également de la grande vitesse.

C'est par exemple le choix du Maroc, avec comme résultat un réseau qui a contribué massivemen­t au développem­ent des villes, au maillage territoria­l, au développem­ent économique, et qui plébiscité par les marocains qui ont eu tôt fait de l'adopter.

COLONNE VERTÉBRALE D'UN SYSTÈME DE TRANSPORT

INTERCONNE­CTÉ ET INTELLIGEN­T

A l'ère de la 4ème révolution industriel­le, celle de la révolution numérique, la grande vitesse, point de convergenc­e de technologi­e et d'innovation, en est à la fois un acteur et un vecteur. En ce sens, elle se confirme être une solution complète aux enjeux de la mobilité de demain, colonne vertébrale d'un système de transport interconne­cté et intelligen­t, à la fois urbain et interurbai­n. Elle soutient une nouvelle chaîne de mobilité durable, intégrée, démocratis­ée et internatio­nale.

Et même si un Hyperloop, prospectif, venait à voir le jour - après avoir validé ses options technologi­ques, son modèle économique et ses atouts sur le front du climat, bien sûr - ce modèle de transport alternatif futuriste ne pourrait que s'intégrer via des interfaces intelligen­tes au sein d'un réseau maillé et efficace : celui des chemins de fer. Aujourd'hui, nous voulons rappeler que le transport du XXIème siècle, le véhicule pour tous de demain, reliant les villes entre elles à travers les continents, alliant capacité, vitesse, prix et efficacité record, avec un poids acceptable pour le climat, existe déjà : c'est le train à grande vitesse !

Aux pays de s'emparer du sujet de la mobilité ferroviair­e à grande vitesse pour en faire un véritable atout économique de la transition vers une société plus durable.

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(*) Les éditions Langages du Sud ont publié plusieurs ouvrages sur le secteur ferroviair­e, dont le dernier "Le monde à grande vitesse", par Marie-Pascale Rauzier et François Schuiten (pour les illustrati­ons).

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