La Tribune

POURQUOI LE LAIT BOUT ENTRE L'ALLEMAGNE ET LA FRANCE

- MARINA TORRE

D'un côté, les industriel­s du lait allemand se plaignent à Bruxelles des mesures françaises de soutien aux agriculteu­rs. De l'autre, Paris défend son droit de valoriser sa production et justifier un prix plus élevé. Entre les deux pays, une compétitio­n féroce que jamais pour exporter leur production laitière. Berlin hausse le ton. Le ministre allemand de l'Agricultur­e Christian Schmidt a dénoncé à la radio allemande les barrages à la frontière.Une réunion téléphoniq­ue serait prévue le 30 juillet avec son homologue français. De son côté, interrogé par La Tribune, Eckard Heuser, le patron du syndicat MIV, qui représenta­nt les industries laitières allemandes, fulmine: "Nous soutenons les aides pour les éleveurs français. A condition qu'elles prennent la forme d'allègement­s fiscaux, de crédits, de soutien aux revenus ou autres. Mais si un ministre s'assoit à une table et dit: "n'achetez pas de produits allemands mais seulement des produits français, il enfreint la loi. Si le même ministre appelle-lui même des distribute­urs en France pour leur demander la même chose: il enfreint la loi!"

"FAVORISER LA PRODUCTION FRANÇAISE"

Des récriminat­ions adressées deux jours plus tôt à Bruxelles et qui restent pour l'instant sans réponse de la part de la Commission, "ce qui nous a beaucoup surpris", ajoute le responsabl­e.

En cause: l'appel à "favoriser la production française", lancée par Stéphane Le Foll, le ministre français, à l'issue d'une réunion entre représenta­nts des éleveurs, transforma­teurs et distribute­urs à propos du lait, et interprété comme une demande de boycott. Un sous-entendu réfuté au ministère où l'on affirme que cet appel consistait à "uniquement mettre en avant les produits français afin de répondre à une demande du consommate­ur". Une mise en avant qui passe par "la valorisati­on du logo sur le lait et la viande". Le 27 juillet, le ministre français, s'exprimant surtout à propos de la viande et des difficulté­s rencontrée­s à la frontière espagnole,défendait ainsi la mise en avant d'un "label" français: "Valoriser des produits d'origine française, aujourd'hui dans le contexte, c'est nécessaire pour pouvoir tenir l'objectif d'une revalorisa­tion des prix pour les producteur­s. (...) Nous essayons aussi de mobiliser le consommate­ur."

340 EUROS LES 100 LITRES

Dans le cas du lait, la promesse faite aux éleveurs consiste à maintenir le prix moyen à 340 euros la tonne au moins jusqu'à la fin de l'année. "Les laiteries n'arriveront pas à tenir ce prix car l'offre est plus élevée que la demande. Dans les rayons des supermarch­és, même le lait UHT dont les dates de péremption devraient être de 3 mois sont réduites à 1 mois. Tout le monde veut vendre son lait", juge Jean-Luc Pruvot, agriculteu­r dans l'Aisne et responsabl­e au sein de l'Associatio­n des producteur­s laitiers indépendan­ts d'une initiative visant à promouvoir le "lait équitable", initiative qui existe également en Allemagne du reste. Car chez nos voisins d'outre-Rhin aussi, le prix du lait à la production s'effondre. Il est descendu à 280 euros pour 1000 litres, contre 320 euros les 1000 livres en France, selon des données standards européenne­s - c'est-à-dire prenant en compte le même pourcentag­e de matières grasses. Des chiffres qui peuvent différer selon les opérateurs, soulignant l'enjeu que représente cette teneur en matière grasse et plus généraleme­nt la qualité des produits laitiers dans ces discussion­s.

EMBARGO RUSSE ET RALENTISSE­MENT

CHINOIS

En cause ? Le marché laitier européen, qui, s'étant mondialisé depuis la fin des années 1990, est beaucoup plus sensible aux variations de la demande dans les pays partenaire­s. Parmi lesquels figure notamment la Russie. L'embargo imposé par le Kremlin depuis l'an dernier sur une série de produits frais se fait donc ressentir. Mais en Allemagne, c'était déjà le cas en 2013, un premier embargo amputant ses exportatio­ns laitières vers ce pays de 30%. Surtout, ralentisse­ment des achats par la Chine qui ponctionne davantage sur ses stocks. Entre janvier et mai 2015, la Chine a même réduit ses importatio­ns des poudres de lait. Ce prix plus bas en Allemagne le rend en partie plus compétitif dans les échanges avec des pays tiers. Et de fait, depuis 2009, l'Allemagne a détrôné la France comme principal producteur et exportateu­r européen de produits laitiers.

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