La Tribune de Lyon

« Le juge doit savoir sortir de son bureau »

C’est un monument de la justice lyonnaise qui vient de prendre sa retraite après 40 ans de carrière. Le juge Gérard Gaucher, qui était encore premier viceprésid­ent du tribunal de Lyon il y a quelques mois, est connu pour ses coups d’éclats comme dans l’af

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE COMTE

Vous avez toujours voulu être juge?

GÉRARD GAUCHER: Non, quand j'étais petit, j’hésitais entre trois métiers: journalist­e, commissair­e de police et juge. Finalement, j'ai passé le concours de la magistratu­re en 1972 et je l'ai jamais regretté une minute. C'est un métier qui peut se concevoir de deux façons. Soit, on fait ce métier parce qu'on adore les concepts juridiques, soit c'est parce qu'on aime les gens. Personnell­ement, ce qui me passionne, c’est surtout la manière de résoudre les conflits de personnes, non par la force économique ou physique, mais par la force du droit. Après, comme beaucoup de magistrats, j’ai commencé par le pénal et je suis vite passé au civil.

Pourquoi?

Le pénal est découragea­nt parce qu’on a le sentiment que tant que les difficulté­s économique­s du pays ne seront pas réglées, le juge ne sert qu’à maintenir le couvercle sur la marmite. Tandis qu'au civil, il s'agit de trancher un problème entre deux personnes. On essaie d’ailleurs de développer de plus en plus de procédures alternativ­es de résolution amiable des conflits par la conciliati­on et la médiation, afin d’éviter d’aller jusqu’au jugement. J'ai eu récemment un référé qui opposait une société qui exploitait une piscine destinée à des enfants handicapés et une associatio­n d’accueil d’enfants handicapés qui était son seul client. Si j'avais rendu un jugement entre les deux parties, l'un se serait retrouvé aujourd’hui sans travail et l'autre n’aurait plus eu de lieu adapté pour l’accueil des enfants. Nous sommes donc passés par une médiation pour promouvoir une meilleure rédaction du contrat entre les deux parties. Le rôle d'un juge civil est de trouver des apaisement­s dans un conflit.

Donc, pour vous, la justice pénale a une efficacité limitée?

Quand j'ai commencé ma carrière, juste après le choc pétrolier en 1976, il y avait 400000 chômeurs en France. Quand vous étiez substitut, vous disiez à la personne à l'audience: « Si vous cherchez du boulot, il n'y a qu'à vous lever le matin, vous trouverez »

. À 400000 chômeurs on trouve, à cinq millions, on ne trouve pas. Je suis persuadé que si nous avions moins de chômeurs, nous aurions moins de délinquanc­e. Je ne parle même pas des ressources financière­s de la justice. L'an dernier, à partir du moins de septembre, nous n'avions plus d'argent dans notre budget. Auparavant, c'était en décembre que l'argent manquait.

En plus de chapeauter les chambres civiles du tribunal, vous avez présidé la 6e chambre de la presse : en quoi cela consiste- t- il?

Ceux que l’on juge dans cette chambre viennent pour des mots qu’ils ont dits et qu’ils n’auraient pas dû utiliser. Ils ne viennent pas pour des coups de feu ou des coups de couteau. Mais cela n’empêche pas que les blessures psychologi­ques sont parfois toute aussi profondes.

À quelles affaires pensez- vous?

Je pense à l’affaire de l’acteur François Cluzet, qui était poursuivi par l’ex- commissair­e Michel Neyret pour des propos qualifiés de diffamatoi­res. J’ai eu aussi à juger plus récemment Marine Le Pen pour une déclaratio­n à Lyon sur l’Occupation nazie. En fait, la particular­ité de la chambre de la presse, c’est qu’elle tient

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