Régalons-nous !
Un spécialiste des transactions viticoles, François Aubry, m’écrit hier : « Depuis quelque temps, un nombre inquiétant de vignerons jettent l’éponge. Ils veulent vendre. Parfois jeunes, moins de 45 ans, dans des vignobles connus. Mildiou, pluie, trésorerie trop faible, tension à l’export, gel, grêle… C’est souvent l’épouse qui prend la décision… ».
La crise, Olivier Poels, de retour d’une série de dégustations dans le Médoc pour le Guide vert, en parle lui aussi : « Les Bordelais n’ont pas le moral. La campagne des primeurs 2023 ne décolle pas. Les propriétaires qui reviennent de Vinexpo Hong Kong ont vu du monde, mais pas de commandes. En Asie, aux États-Unis, à Londres, les réseaux de distribution sont remplis de bordeaux et aucune caisse ne se vend, même en livrable ».
La crise frappe Bordeaux, mais pas que Bordeaux. La montée des degrés d’alcool avec le bouleversement climatique, la transformation des modes de vie, la déconsommation sont devenues des données générales. La flambée de certains prix n’arrange rien. Et puis, comme tous les agriculteurs, les vignerons encaissent aussi le poids des normes et de la paperasserie. Dernier avatar, la loi dite “Sempastous” entrée en vigueur en 2023 qui multiplie les conditions suspensives et rallonge les délais de cession des propriétés. Comme si c’était le moment !
A-t-on déjà connu cela ? Oui, assure Alain Vauthier, propriétaire du château Ausone, à Saint-Émilion. Il a démarré voici plus de soixante ans, au temps de la consommation de masse. Il a vu le prix du tonneau de saint-émilion au plus bas puis connu l’envolée des prix des Grands crus classés.
Que nous dit-il ? « La viticulture va rétrécir, c’est inéluctable, le pays picole moins. Qui boit peu aujourd’hui boira de moins en moins, on a vu ça avec le tabac. La déconsommation est une réalité, les ratios sont divisés par deux. Les repas d’affaires, c’était champagne, bourgogne blanc, bordeaux rouge, digestif et cigare. Aujourd’hui, on ne peut plus conduire après un repas arrosé. Et le sport et l’hygiène de vie sont passés par là : les jeunes cadres ne mangent plus et carburent à la Contrex. »
Aux États-Unis aussi, la consommation de boissons alcoolisées recule. Mais il faudra un jour faire l’inventaire des décisions folles prises en France. À 86 ans, au Festival de Cannes, l’actrice Jane Fonda arrivée sur le plateau de l’émission “C à vous” une coupe de champagne à la main a été estomaquée qu’on lui explique qu’il était interdit de boire du vin à la télévision en France. Et cela dure depuis trente-cinq ans !
Voilà pourquoi il est si important de profiter de la vie et de saluer les vignerons qui, contre vents et marées, continuent de nous enthousiasmer en signant des vins de plaisir, des vins d’identité, envoûtants et accessibles.
C’est ce que propose ce numéro, avec près de cent pages dédiées aux vins à moins de 20 euros. Prenez la Grande Réserve de la cave coopérative de Cairanne *. Roussanne, marsanne, bourboulenc, clairette et grenache blanc. Bon sang, ce blanc délicieux se goûte comme une corbeille de fruits jaunes… Et ce vin merveilleux, cet élixir de joie de vivre, coûte 7,90 euros au caveau.
La voilà, l’info principale, merveilleuse, de ce numéro. La France reste un paradis pour trouver des vins accessibles à des prix intéressants. Avec nous, faites étape à Chorey-lès-Beaune, où Chantal Martin signe un coteaux-bourguignons fabuleux. Un nez de framboise à 13 euros, qui dit mieux en Bourgogne ? Stop obligatoire à Saint-Joseph, où Aurélien Chirat donne un rouge délicieux, La Côte, à 17,50 euros. Sous la roche de Vergisson, foncez au domaine Pierre Desroches-château de Vergisson : un pouilly-fuissé sensuel, gourmand, profond vous y attend, sous les 20 euros.
En Languedoc chez Sylvain Fadat (Lou Maset, pulpeux, sapide, 13,80 euros), dans l’Yonne avec Pierre-Louis Bersan (irancy au nez de cerise, tendre et suave, 19 euros), en Alsace au domaine MeyerFonné (sylvaner, 15 euros), dans le Jura, à Bandol, en Beaujolais (Lantignié 2022 du domaine Pertuizet, 12 euros), dans la Vallée de la Loire, le vaste Sud-Ouest, en Corse et même à Bordeaux, cheminez avec nous. Et régalez-vous !
La France reste un paradis pour trouver des vins accessibles
* Élue “Cave coopérative de l’année 2024” par La RVF.