La République de Seine-et-Marne (Édition A-B)
« On ne fait rien pour les jeunes » : après la mort d’Hamza, les habitants exigent des moyens
Le 13 février, Hamza, 23 ans, a été tué par balle dans son immeuble du quartier de la Mare-aux-Curées. En avril dernier, Sidney, 22 ans, était retrouvé mort, une balle dans le coeur, rue de Bel-Air. Une explosion de violence qui inquiète les Nangissiens.
« Des problèmes de drogue, de trafic… »
Si le procureur, Jean-Michel Bourlès, a assuré qu’il s’agissait bien de « deux affaires distinctes, qui pourraient être liées à la drogue » , il n’en fallait pas moins pour plonger la commune briarde dans l’incompréhension et le désarroi : deux jeunes exécutés en moins d’un an, c’est trop pour une ville de 8 500 habitants, qui avait déjà été secouée par le meurtre d’Hassan Kherbach, un père de famille poignardé le 14 juillet 2017 dans le quartier de la Mare- aux- Curées, alors qu’il tentait de mettre fin à une altercation.
Dans le centre-ville de Nangis, la mort d’Hamza est logiquement sur toutes les lèvres : « Les gens en parlent en voyant les photos dans le journal, confie la gérante du café Le Soleil du printemps. Ceux qui le reconnaissent disent qu’il était gentil et sans histoire. »
« Il se passe des choses à la Mare-aux-Curées, ça fait un moment que ça dure… », s’inquiète de son côté une Nangissienne, installée avec des amis dans le parc du Château. Habitante de la ville depuis 10 ans, elle connaît bien le quartier. « Il y a des problèmes de drogue, du trafic… Ça s’est passé au pied de l’immeuble dans lequel habite ma mère. Il y a des enfants qui vivent là. C’est choquant, ça fait peur. »
Lorsqu’on interroge les Nangissiens, le trafic de stupéfiants revient sans cesse, pointé du doigt comme étant le principal fléau de la Mare- aux- Curées. Afin de déterminer les causes de la mort d’Hamza, le parquet de Melun a d’ailleurs précisé que les enquêteurs étudient le milieu de la drogue (lire en page 5). D’après les premiers éléments, Hamza n’était pas connu comme dealer, mais il avait écopé, en tant que consommateur, de deux amendes pour usage et détention de stupéfiants, ainsi que de six mois de prison avec sursis probatoire de deux ans.
« Oui, il consommait, mais n’a jamais rien vendu, certifie Nabil, l’oncle de la victime.
C’était un bon garçon, sans histoire, pas un délinquant.
Le problème, c’est qu’on ne fait rien pour les jeunes du quartier. Au lieu de mettre de l’argent dans des caméras de vidéoprotection, la mairie devrait investir dans l’humain. Il n’y a plus de médiateur, les gamins sont délaissés, ils grandissent dans la haine parce qu’ils n’ont pas d’endroit où aller. On ne fait rien pour les accompagner. »
Combattre l’isolement
À ses côtés, Nathalie Cosseron acquiesce. La présidente de l’Amicale des locataires du quartier, par ailleurs élue d’opposition, se bat depuis 2019 pour accompagner les 2 000 habitants du quartier. Avec des associations locales comme Coli’Brie, La Vieille Chouette ou encore Incipit, elle tente de redynamiser « la Mare » , trop délaissée à son goût. « On organise des événements pour rassembler les gens, comme une fête de quartier ou une chasse au trésor pour les enfants. On a des projets, on veut créer un marché, un troc, une grande fête musicale des voisins… Mais il faut tout le temps se battre : pour avoir du chauffage l’hiver, pour avoir de la lumière la nuit, pour avoir un local pour nos activités… »
« Ce qui manque, c’est une maison de quartier », abonde Dramane Traore, président d’Incipit. Créée en 2022, l’association a organisé l’été dernier la Nangis Cup, un grand tournoi de football, et met en place des ateliers d’écriture. « En ce moment, par exemple, on écrit une série avec des jeunes âgés de 11 à 14 ans. C’est un quartier rempli de vie, qui ne doit pas être stigmatisé. S’il y a de plus en plus de violence, c’est parce qu’il y a de moins en moins de moyens. La baisse de l’insécurité passera par la volonté de concerner les jeunes du quartier. On se doit d’essayer. »
Si la Maison France Services a ouvert une antenne dans les locaux du centre social associatif Nangis Lude, implanté au coeur du quartier, Nabil regrette que le Centre communal d’action sociale et le Service municipal de la jeunesse soient, en revanche, situés à plusieurs kilomètres : « Ça isole les jeunes », soufflet-il. Tous réclament le classement de la Mare-aux-Curées en Quartier prioritaire de la politique de la ville (QPPV), un dispositif de l’État qui permettrait la mise en place d’actions prioritaires et de subventions pour pallier les difficultés que connaissent les habitants.
Quartier prioritaire ?
Dans les tuyaux depuis plus de 15 ans, le dossier, impulsé par la majorité précédente, a été refusé par l’État cette année. D’après la maire, Nolwenn Le Bouter, arrivée aux affaires en 2020, le QPPV n’a pas été obtenu car la ville, qui compte 8 500 administrés, « ne se situe pas dans une aire urbaine de plus de 10 000 habitants, un des critères administratifs à respecter » . « Pourtant, la commune de Champagnesur-Seine, qui possède moins d’habitants que Nangis (6 350, ndlr), l’a eu, s’étonne Nathalie Cosseron. On voudrait donc savoir quel est le problème avec Nangis. »
Interrogée sur le sujet, la préfecture de Seine-et-Marne confirme la version du premier édile : « Le préfet avait plaidé auprès du gouvernement afin que Nangis puisse être intégrée au classement QPPV, mais l’Agence nationale pour la cohésion des territoires a comptabilisé un nombre suffisant d’habitants à Champagne-sur-Seine, mais non à Nangis. Les autorités préfectorales n’ont rien pu faire face aux critères et aux modalités de calcul. » Une réponse qui ne convainc pas.
L’État va proposer « un contrat spécifique »
Bien décidée à aider La Mare-aux-Curées, la préfecture va cependant « proposer un contrat spécifique » pour le quartier : « Un travail est déjà en cours avec les services de l’État et les grands partenaires, précise- t- elle. Pour ce faire, plusieurs dispositifs existent déjà sur la ville comme le dispositif Petites villes de demain sur lequel ils pourront s’appuyer. »
❝ Il faut se battre tout le temps : pour avoir du chauffage, de la lumière la nuit, un local pour nos activités… NATHALIE COSSERON, PRÉSIDENTE DE L’AMICALE DES LOCATAIRES DE LA MARE-AUX-CURÉES ❝ La baisse de l’insécurité passera par la volonté de concerner les jeunes du quartier DRAMANE TRAORE, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION INCIPIT ❝ Face à quelqu’un qui a l’intention de tuer, on dépasse largement les compétences des médiateurs et des élus NOLWENN LE BOUTER, MAIRE DE NANGIS
En attendant, la mairie de Nangis assure qu’elle va accompagner du mieux possible la Mare- aux- Curées : « On suit les recommandations des référents sûreté pour le déploiement de la vidéoprotection, indique Nolwenn Le Bouter. Il peut y avoir des dysfonctionnements, mais les caméras marchent, sauf celles dont les mâts ont été sciés. L’État nous a par ailleurs assuré de la mise en place de dispositifs de sécurisation, et la rénovation de l’éclairage est en cours. »
Concernant la présence humaine, et notamment l’absence de médiateur, la Ville annonce avoir lancé des recrutements : « C’est un sujet qu’on aborde avec le bailleur social 1001 Vies Habitat. On a voulu embaucher, mais on n’a pas eu de candidat. De toute façon, face à quelqu’un d’armé, qui a l’intention de tuer, on est sur des problématiques qui dépassent largement les compétences des médiateurs et des élus. »
Reste les paroles des proches de Sidney, prononcées à l’issue de la marche blanche organisée le 6 mai dernier. Ils résument le souhait de toute une ville : « Ce que nous voulons, c’est que plus aucun enfant ne se fasse assassiner de la sorte, la sécurité n’a pas de prix. Il ne faut pas que sa mort soit vaine. »
Celle d’Hamza non plus.
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