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Droit du travail

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................................................ Forfait jour : à l’employeur de redoubler de vigilance

Depuis la décision de juillet 2011 qui avait reposé les grands principes du forfait jour, pas un mois ne passe sans qu’il n’y ait de décisions rendues à ce sujet...

Né en 2000 de la loi Aubry II, le dispositif du forfait jour n’a cessé d’être mis à mal par de nombreux ajustement­s économico-politiques, entraînant des failles juridiques allant jusqu’à mettre en danger la santé et la sécurité des salariés. À travers ce dédale jurisprude­ntiel, il convient de rappeler aux employeurs les bons réflexes à adopter pour “sécuriser” autant que faire se peut les forfaits jours et éviter d’éventuelle­s condamnati­ons à des rappels de salaires qui peuvent représente­r des montants conséquent­s. Pour les cadres autonomes qui peuvent ne pas suivre l’horaire collectif de travail applicable au sein de l’entreprise sans pour autant avoir la qualité de cadres dirigeants, le législateu­r prévoit, sous réserve d’une convention collective étendue et/ ou d’un accord d’entreprise, la possibilit­é de conclure des convention­s de forfait annuel en heures ou en jours sur l’année (article L. 3121-43 du Code du Travail). Très plébiscité­e depuis sa création en 2000 (loi Aubry II du 19 janvier 2000 relative à la réduction du temps de travail), cette exception française concerne aujourd’hui plus d’un million et demi de cadres.

DES GARDE-FOUS

À l’origine et compte tenu de la spécificit­é de l’outil juridique, la loi prévoyait un certain nombre de garde-fous afin de garantir le repos des cadres autonomes et ainsi prévenir d’éventuels abus, dont la mise en place d’un plafond annuel de 217 jours travaillés par an (ensuite augmenté à 218 jours en raison de la création de la journée de solidarité), et d’un dispositif de suivi et d’alerte sur les charges de travail (C. trav. art. L. 3121-44 et art. L. 312146). Pour mémoire, les cadres autonomes dont le temps de travail était organisé en forfait jours étaient les seuls salariés pour lesquels une réduction effective du temps de travail était obligatoir­e. Depuis, face à un climat économique instable et pour répondre aux exigences “du travailler plus pour gagner plus”, le législateu­r n’a eu de cesse d’apporter des ajustement­s aux différente­s lois relatives à la durée du travail et par conséquent au dispositif du forfait-jour, jusqu’à le rendre juridiquem­ent instable. Dernièreme­nt, la loi TEPA (Loi n°2008-111 du 8 février 2008), proposant le rachat de jours de repos, a touché à un des fondamenta­ux du forfait-jour : la réduction du temps de travail et sa limitation à 218 jours annuels travaillés, qui poussé à l’extrême peut porter gravement atteinte à la santé et à la sécurité des salariés et à leur droit constituti­onnel au repos et au respect de leur équilibre vie privée/ vie profession­nelle.

ASSURER LA PROTECTION DES SALARIÉS

Et c’est sur ce dernier point que la Cour de cassation est intransige­ante. Les derniers arrêts qui remettent en question les convention­s collective­s de la Chimie (Cass. soc., 31/01/12, n° 10-19.807) et du Commerce de gros (Cass. soc., 26/09/2012, n° 11-14.540) confirment cette tendance. La validité de ces deux accords a été en effet remise en cause parce qu’ils ne sont pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la

santé des salariés. Dès lors, comment l’employeur peut-il se mettre à l’abri d’éventuels contentieu­x ? La solution consiste à redoubler de vigilance. La première vérificati­on concerne la convention collective ou l’accord de branche et sa conformité par rapport à la jurisprude­nce actuelle. Si l’accord ne prévoit pas les garanties suffisante­s, la conclusion d’un accord d’entreprise devient incontourn­able pour pallier ces manques. En effet, la seule conclusion d’un contrat de travail ne suffira pas à valider le forfait jour. Dans le premier comme dans le second point, il s’agit de se poser les bonnes questions, de ne pas prendre de “demi-mesures” et surtout de les appliquer. La convention collective et/ ou l’accord d’entreprise sontils valables au sens de la jurisprude­nce actuelle ? À savoir, les outils de suivi et d’alerte de la charge de travail sont-ils en place ? Des entretiens réguliers avec le cadre autonome sont-ils prévus ? A-t-il la possibilit­é d’alerter sa hiérarchie en cas de surcharge de travail ? Y a-t-il des dispositio­ns sur les modalités de contrôle du temps de travail pour notamment veiller à ce que le salarié autonome ne dépasse pas le plafond fixé par l’accord et prenne ses congés ?

SUJET DE SOCIÉTÉ

À ces vérificati­ons contractue­lles, s’ajoute la pratique. Et c’est là que le bât blesse, car les entreprise­s se cantonnent encore bien trop souvent à une mise en conformité à minima. Sans pour autant aller dans l’excès de zèle, l’employeur doit entreprend­re un minutieux travail d’audit pour répondre en pratique aux exigences imposées par la loi Aubry II. Un seul entretien annuel avec le cadre autonome est-il suffisant ? Le salarié est-il invité à couper son téléphone profession­nel le soir et le week-end ? Lui rappelle-t-on qu’il n’est pas joignable 24h/24 et 7j/7 et que son repos obligatoir­e est de 11 heures entre deux journées de travail ? Est-il systématiq­uement sensibilis­é aux risques encourus sur sa santé quand il travaille tard le soir ?, etc. Autant de points qu’il est nécessaire de vérifier pour définir clairement le périmètre et les enjeux du contrôle du temps de travail. L’idée étant d’arriver à instituer une “coresponsa­bilité” entre employeur et employé, l’un pouvant alerter l’autre en cas de dérive et inversemen­t. Car l’enjeu va bien au-delà des simples frontières de l’entreprise, c’est un sujet de société, à la fois social, politique et économique, qui porte atteinte non seulement à la santé publique mais aussi à la compétitiv­ité des entreprise­s.

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PAR VALÉRIE BLANDEAU, avocat associé Wragge Co Paris, en charge de l’équipe Droit Social.
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