LA CYD SULFURIQUE
TOUS EN SCÈNE Comédie musicale américaine de Vincente Minnelli (1953). Avec Fred Astaire, Cyd Charisse. 1h51.
C’est l’une des plus belles comédies musicales du monde. Fred Astaire danse avec Cyd Charisse dans un New York mangé par la nuit, en Technicolor, et le conte passe de la mélancolie du temps perdu à la joie d’une chorégraphie enthousiasmante. L’âge d’or du musical touche à sa fin en 1953, les grands studios (ici, la MGM) vont être démantelés, l’Amérique invente la guerre froide, et jamais Cyd n’a été plus sexy, longues jambes parfaites, silhouette de rêve… En quinze numéros de danse, Vincente Minnelli raconte l’histoire d’un show raté, calqué sur la légende de Faust, qu’un danseur vieillissant (Astaire a alors 54 ans) sauve de la déroute et transforme en succès – et en love story, notamment avec le ballet « Girl Hunt », à la fin, inspiré des romans noirs de Mickey Spillane. Dans les années 1960 et 1970, quand le film passait dans les salles d’art et d’essai, il rétrécissait au fil des programmations. C’est en discutant avec un gars du métier que j’ai compris pourquoi : les projectionnistes successifs, séduits par la beauté de Cyd Charisse, coupaient certains numéros et gardaient la pellicule pour eux. Du coup, « Tous en scène » passait de 111 à 90 minutes, puis à 85 minutes... Par chance, le film a été restauré dans son intégralité, et je m’en voudrais de ne pas tirer mon chapeau à Leroy Daniels, le cireur de chaussures qui danse avec Fred Astaire dans « Shine on Your Shoes ». C’était un vrai cireur, qui avait trouvé un truc pour écraser la concurrence : il avait acheté un juke-box et faisait son travail en rythme, pour le plus grand plaisir des clients. A 23 ans, n’ayant jamais pris un cours de danse, il casse la baraque en faisant claquer ses brosses et ses chiffons. Mais, acteur non professionnel (et noir), il n’a pas eu le droit d’être cité au générique… En 1974, Cyd Charisse, venue à Cannes présenter « That’s Entertainment », montage des meilleurs moments de danse de Hollywood, lui a rendu hommage, ainsi qu’à Fred Astaire, qui, dit-elle, « avait un sens du rythme surnaturel ». A chaque fois que je vois « Tous en scène », je me lève à la fin, certain de pouvoir faire des claquettes (mais non). Preuve que le cinéma, c’est magique.