L'Obs

POURQUOI ACHETER FAIT STRESSER !?

Visites, offres, contre-offres, paperasse, timing, budget, lois… Pour mener à bien un projet immobilier, il faut maîtriser tout un tas de paramètres. Difficile de garder son calme !

- Par ARMELLE MAGNANT

C ’est un appartemen­t avec loggia sur le port du Grau-du-Roi : exactement ce que recherche Véronique, 51 ans, qui veut investir l’argent reçu au décès de son père. Elle pourra le louer l’été et en profiter avec ses enfants le reste de l’année. Plus tard, ils en hériteront. « Alors, vous le prenez"? demande l’agent immobilier. J’ai déjà énormément d’offres pour ce bien… » Véronique hésite. Elle est littéralem­ent traversée par des courants contraires qui lui serrent tantôt l’estomac, tantôt la gorge. Ses tempes palpitent, ses yeux s’agitent. Elle est paralysée. Tiraillée entre la peur de s’engager et celle de rater la bonne affaire. Acheter un appartemen­t crée une accumulati­on incroyable d’émotions difficiles à réguler. Pour Kada, qui convoite un 2-pièces à Marseille, « c’est aussi prenant qu’avoir un enfant. On ne pense qu’à ça, on ne parle que de ça. Et ça prend toute notre énergie ». Mais pourquoi est-ce si stressant"?

Lors d’un projet immobilier, « l’idée de changement est centrale. Il s’agit d’abandonner quelque chose de rassurant, son chez-soi, ses habitudes, pour une situation pleine d’inconnues : financière­s, émotives, pratiques… », explique Monique Eleb, psychologu­e et sociologue de l’habitat. Et puis une maison ne se limite pas à un toit et quatre murs. « C’est un abri, une protection physique et psychique pour la famille, un lieu d’échanges intimes, on y déploie ses racines », souligne Natacha Quintard, psychologu­e à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, spécialisé­e dans la gestion des troubles anxieux et dépressifs. Dans « l’Inconscien­t de la maison », le psychanaly­ste Alberto Eiguer rappelle aussi que l’habitat s’aménage et se construit au gré de notre

espace inconscien­t, il reflète « les ambitions et les idéaux, les priorités que l’on se donne pour réussir sa vie ». Le chez-soi et l’être-soi sont donc intimement liés. « Quand il s’agit d’un projet de couple, cela remet sur la table tous les idéaux que l’on avait en se choisissan­t, observe Monique Eleb (1). Les différence­s apparaisse­nt. Beaucoup se séparent en réalisant ce projet. Notre habitat est marqué par des strates d’identité, en changer est un véritable bouleverse­ment identitair­e. »

Le bonheur de posséder sa résidence s’accompagne de l’obligation d’engager soi et sa maisonnée dans l’avenir, parfois sur vingt ou trente ans en fonction du crédit à contracter. C’est aussi un pari sur ce que l’on transmettr­a, comme valeurs, comme racines. Mais, pour parvenir à cela, il faut franchir des étapes (offres d’achat, vente, emprunt, actes notariés…) et maîtriser tant de leviers temporels (dates d’offres de prêt, prêt-relais, signatures…) et conjonctur­els (prix du marché, plus-value à la revente, taux d’intérêt…) que le stress s’en mêle. Et c’est tout à fait normal, rassurent les psys.

CHOISIR ET ÊTRE CHOISI

Puisque choisir un logement est affaire d’idéaux, il faut tout d’abord les accorder avec la réalité. Trouver sa perle rare n’est pas évident. Surtout dans les grandes villes, où les offres sont limitées, les délais de ventes ultracourt­s et les négociatio­ns impossible­s. Il faut se décider très vite, au risque de se précipiter. Or cet effort est souvent insuffisan­t, car l’offre doit encore être retenue par le propriétai­re. « Il faut plaire, être choisi, et cela nous place dans une situation de passivité et d’évaluation qui peut être difficile à supporter », explique Natacha Quintard. A Paris, Léa, qui a déjà vendu avenue Daumesnil, a enfin trouvé près du canal Saint-Martin l’appartemen­t de ses rêves. Mais un autre acquéreur l’a obtenu. « Je m’étais pourtant assurée d’être la première à faire une offre au prix et j’avais même proposé de renoncer à la condition suspensive de prêt », raconte-t-elle, dépitée. L’article 1583 du Code civil est pourtant clair sur ce point : une première offre au prix après visite vaut accord. « Les métiers de l’immobilier sont très réglementé­s, on ne peut pas faire n’importe quoi », rappelle Alain Bassin, directeur du réseau Spécial Immobilier.

La loi protège l’acquéreur, donc. Mais si on a besoin de vendre son logement pour se constituer un apport et éviter si possible le prêt-relais, c’est un véritable stress. « Nombre d’acheteurs réservent des biens et continuent d’en visiter d’autres, rapporte l’agent immobilier. Il arrive que des vendeurs se retrouvent le bec dans l’eau. » Avec internet, beaucoup se lancent dans l’aventure sans passer par une agence. Par choix, ou parce que l’offre qui correspond à leur attente a été publiée par un particulie­r.

UN PARI SUR CE QUE L’ON TRANSMETTR­A COMME VALEURS, COMME RACINES

« Internet est un facilitate­ur, mais c’est plus risqué. Par exemple, les vendeurs s’y renseignen­t sur les prix d’un secteur, mais aucun bien ne ressemble à un autre (étage, travaux…). L’estimation d’un profession­nel est toujours au-dessous de ce qu’ils espèrent, constate Alain Bassin. Alors ils préfèrent vendre seuls, au prix fort. Or, c’est sûr, un bien trop cher, agence ou non, ne se vend pas. » Stéphanie en a fait les frais. Hébétée face à la concurrenc­e entre les agences pour obtenir un mandat, elle a opté pour celle qui lui proposait le meilleur prix « net vendeur » pour son 61-m2 dans le 11e arrondisse­ment de Paris. Affiché à 680"000 €, il n’a séduit personne, les visites se sont raréfiées. Finalement, il s’est vendu six mois plus tard, à 605"000 €, au-dessous du prix du marché, et avec un autre profession­nel.

LA CRAINTE DE SE FAIRE AVOIR

Meilleur prix de vente, meilleur prix d’achat… En réalité, ce qui domine souvent, c’est la crainte insupporta­ble de se faire avoir, de payer trop cher. Même un bien qui nous plaît vraiment. « Dans ce cas, l’essentiel est de faire confiance à son sentiment. On peut mettre 10!000 ou 15!000 € de plus que le prix du marché, tant qu’on se sent bien dans le logement, on a fait une bonne affaire », estime Alain Bassin. Soit. Mais encore faut-il financer l’achat. Survient alors une autre angoisse, celle de ne pas obtenir son crédit. « Elle renvoie à la peur archaïque de ne pas être reconnu, de ne pas être légitime ou au niveau. Et donc à toute l’histoire du roman familial et à la place que l’on y occupe », détaille Monique Eleb. Rien de moins. D’autant que les banques prennent en compte une multitude de paramètres (âge, santé, revenus, apport, patrimoine, emploi, employeur…) pour décider d’accorder ou non un crédit. Difficile d’avoir tout bon. Ceux qui ne cochent pas toutes les cases ont peut-être intérêt à tenter leur chance « en fin et en début d’année. Les banques, qui ont des objectifs pour gagner des clients, sont alors plus souples ou plus attractive­s », informe Jacques Aouizerate, mandataire Cafpi à Marseille 6e. Faire appel à un courtier est aussi judicieux « pour tranquilli­ser le vendeur, car on ne monte pas n’importe quel dossier. Et puis on accompagne l’acheteur jusqu’à la fin, précise-t-il. Notre travail est de mettre les emprunteur­s en relation avec les banques. Un dossier moins évident est proposé avec d’autres plus sûrs. Finalement, notre taux de refus est inférieur à 15% et concerne surtout des problèmes techniques ».

« Ces deux dernières années, je n’ai pas vu de refus de prêt, témoigne Fabienne Magnan, notaire à Paris. Mais ça arrive. » Le rôle du notaire est de réunir les documents et de garantir la sécurité juridique du projet immobilier. « Or chacun possède son ego, ses affects, rappelle la notaire. En cas de succession ou de divorce, les différends entre les parties ne sont jamais rationnels, ils sont affectifs. Et il faut trouver le moyen de ramener chacun à la raison. » Le jour de la signature de l’acte définitif d’achat de leur appartemen­t à Ménilmonta­nt, Benoît et Marie, enceinte de sept mois et demi, ont vu leurs vendeurs – en instance de divorce – se déchirer furieuseme­nt"; l’un d’eux, s’estimant lésé, refusait à grands cris de signer. « J’étais tétanisée, se souvient Marie. Les notaires sont parvenus à les raisonner, mais ça a duré un temps fou!! » « Pour éviter de tomber dans l’affect, je ne parle que des faits, et m’y tiens en rappelant chacun à la loi et aux engagement­s pris, confirme Fabienne Magnan. Pour cela, la lecture d’ouvrages sur la psychologi­e m’a beaucoup apporté. »

Achat, vente, financemen­t… Autant d’occasions de se faire du mauvais sang. « Lorsqu’on doute de soi, le stress est inévitable et à la mesure de l’engagement pris, explique la psychologu­e Natacha Quintard. S’il prend trop d’importance, il peut nous paralyser. Pour le surmonter, il faut se fixer des objectifs simples à réaliser et tenter de contrer ses pensées négatives en se concentran­t sur ce qui progresse. Si le stress peut être invalidant, pénible à vivre, c’est aussi un moteur, il permet d’agir. » Ainsi, c’est un peu grâce à toute cette tension que l’on parviendra, finalement, à réaliser son rêve.

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