L'Obs

Pamuk le puisatier

LA FEMME AUX CHEVEUX ROUX, PAR ORHAN PAMUK, GALLIMARD, TRADUIT DU TURC PAR VALÉRIE GAY-AKSOY, 310 P., 21 EUROS.

- DIDIER JACOB

Au milieu des années 1980, Istanbul connaît un développem­ent rapide, mais les techniques de constructi­on datent encore du Moyen Age. Pour trouver de l’eau, il faut s’armer d’une pelle et de beaucoup de patience. Les puisatiers sont, à l’époque, les plus respectés des ouvriers du bâtiment. L’un d’eux, Maître Mahmut, accepte de prendre un apprenti inexpérime­nté, Cem, pour le puits qu’il doit creuser non loin d’une petite ville proche d’Istanbul, Öngören. Comme dans « Cette chose étrange en moi » qui paraît ces jours-ci en Folio, et où il décrivait la vie d’un vendeur de yaourt, le prix Nobel 2006 poursuit son inventaire des petits métiers qui lui valent tant de succès et de reconnaiss­ance en Turquie. Dans un style presque documentai­re, non exempt de naïveté, Pamuk raconte les jours de labeur acharné de Cem et de son maître, l’un s’enfonçant peu à peu dans le sol, l’autre hissant la terre, sous un soleil de plomb, au moyen d’un treuil. Chercheurs d’or ? En quelque sorte, car l’eau tarde à jaillir. Le commandita­ire, fataliste, veut creuser ailleurs. Mais Mahmut s’entête. Il est, en la matière, un puits de science, maîtrisant un savoir ancestral qui date des Byzantins. Cem, son jeune protégé, a quant à lui l’esprit ailleurs : il est tombé amoureux, à la ville, d’une mystérieus­e femme rousse. Le récit bascule dans le roman à l’eau de rose. Mais Pamuk, en parfait puisatier des couches souterrain­es de la narration, creuse plus profond : le temps a passé, Cem est marié, le puisatier est mort. Et cette femme rousse, cette déesse inaccessib­le que, sur un coup de chance, le temps d’une nuit d’amour, le jeune homme aura réussi à posséder ? Nous voici presque dans un polar, à présent, car Cem n’a qu’une idée en tête : la retrouver. Au risque de désarçonne­r son large public, Pamuk établit un parallèle osé avec la tragédie « OEdipe Roi », version Sophocle, la sagesse antique des paternités contrariée­s. Au fil de son enquête, Cem découvre en effet que son père a été aussi l’amant de la belle rousse, dont lui-même a eu, sans le savoir, un enfant ! Moins attachant que son précédent roman, moins réussi que son dernier chef-d’oeuvre (« le Musée de l’innocence »), ce nouveau conte de Pamuk court après trop de lièvres à la fois, dans la seconde moitié de l’ouvrage. Mais sa prose simple, au début du livre, contant les efforts du maître puisatier et de son jeune apprenti, possède un pouvoir de fascinatio­n inégalé.

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