Abbas, la voix silencieuse
Notre confrère s’est éteint le 25 avril, à l’âge de 74 ans. Photographe franco-iranien, il était une figure de l’agence Magnum. Notre première rencontre eut lieu en Irak, le 10 avril 2003. Bagdad venait de tomber. La veille, les soldats américains, sans vraiment livrer bataille, s’étaient déployés dans les rues avec l’arrogance des vainqueurs qui n’ont pas trop eu à souffrir. Abbas, silencieux, regardait et savait. Il ne se contentait pas de documenter « l’instant T », il réfléchissait, analysait. Il déroulait toutes les couches de l’histoire pour les mettre en perspective. A la recherche d’une vérité qui transcende les apparences. Les désastres qui ont succédé à l’invasion de l’Irak ? Sans doute les pressentait-il. Abbas était à contrecourant du journalisme actuel. Précis, singulier, libéré des idées préconçues. Libre. Son esprit était tourné vers l’extérieur. L’introspection ? Oui, mais au service du réel, non pas comme finalité narcissique. Le réel construisait sa vision, pas l’inverse. Nous nous sommes ensuite vus occasionnellement, sur le terrain ou à Paris : « Tu es un bon photographe, mais que feras-tu quand tu ne pourras plus courir assez vite sous les balles ? » C’était en 2006, à Tyr, au Sud-Liban. Question embarrassante, à laquelle je répondis : « Et toi ? » Six ans plus tard, je me retrouve chez lui, rue Lepic. Il voulait m’aider à préparer mon portfolio de candidature à l’agence Magnum : « Je crois que tu es prêt. » Il aura fallu presque dix ans, aux yeux d’Abbas, pour que je sois prêt. Abbas ne parlait pas de talent, ni de style en photographie, il me répétait souvent qu’un bon photographe est un photographe qui a « une voix ». Une voix, pour un photographe ? C’était étrange… Pourtant, grâce à lui, cette notion indéfinissable et mystérieuse de « voix » est devenue pour moi un repère, un but à atteindre. Merci Abbas.