L'Obs

LE CHOIX DE L’OBS Redneck plus ultra

- NICOLAS SCHALLER

3 BILLBOARDS. LES PANNEAUX DE LA VENGEANCE, PAR MARTIN MCDONAGH. COMÉDIE DRAMATIQUE AMÉRICAINE, AVEC FRANCES MCDORMAND, WOODY HARRELSON, SAM ROCKWELL, PETER DINKLAGE, ABBIE CORNISH (1H56).

Ne pas se fier au titre franglais. L’original, « Three Billboards Outside Ebbing, Missouri », dit mieux l’atmosphère. Celle d’une Amérique profonde chère à Jim Thompson et Sam Shepard, peuplée de forts en gueule, de losers magnifique­s, avec des accès de violence qui font basculer une vie à la vitesse d’un bourre-pif. Mildred Hayes (Frances McDormand) en sait quelque chose : sa fille a été retrouvée morte il y a six mois. Depuis, rien! Aucun suspect et une enquête au point mort. Lasse de ronger sa peine et sa colère, Mildred décide de les partager au grand jour et loue les trois panneaux d’affichage à la sortie de la ville, là où le crime a eu lieu, pour y faire passer un message : « Agonisante et violée, et toujours pas d’arrestatio­n ! Comment se fait-il, chef Willoughby ? » Le coup d’éclat met la petite ville d’Ebbing sens dessus dessous. Est-ce parce qu’il se débat avec son cancer que ledit Willoughby (Woody Harrelson) aborde la situation avec philosophi­e? Serait-ce pour faire oublier qu’il a tabassé un Noir que son adjoint, Dixon (Sam Rockwell), prend cet affront à coeur ? De toute manière, remarque un de leurs collègues, « si on virait tous les flics vaguement racistes, il n’en resterait plus que trois qui n’aiment pas les pédés ». Pour qu’une réplique pareille sonne, dans ce marigot de virilité péquenaude, comme le « tout le monde a ses raisons » de Renoir, c’est qu’on tient là un sacré auteur. Dramaturge reconnu dans les pays anglo-saxons et volontiers provocateu­r – il a qualifié Shakespear­e d’« ennuyeux » et insulté Sean Connery, qui le prenait de haut lors d’une cérémonie de remise de prix –, l’Irlandais Martin McDonagh trempe sa plume dans l’encre de l’humour noir. Au cinéma, il s’était jusqu’ici fait remarquer grâce à des « tarantinad­es » plus (« Bons Baisers de Bruges ») ou moins (« 7 Psychopath­es ») inspirées. Avec « 3 Billboards », prix du scénario à Venise et récompensé par quatre Golden Globes, il signe un classique instantané.

Tout ce qu’on n’ose plus espérer d’un cinéma américain accaparé par les surhommes en collant et leurs dilemmes pour gamins de 10 ans : une grande histoire sur des petites gens. C’est tragiqueme­nt drôle, férocement humain, dialogué à l’acide et interprété par des cadors – Frances McDormand en dure à cuire (imaginez John Wayne dans le rôle d’une maman) et le toujours génial Sam Rockwell en policier white trash et soupe au lait. Quoique… Difficile de circonscri­re les personnage­s, le regard que l’on porte sur eux ne cesse d’évoluer. Idem pour le film. Du Harold Pinter chez les rednecks revu par les frères Coen (ici producteur­s) ? Il y a de ça.

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Frances McDormand, Golden Globe de la meilleure actrice, et Peter Dinklage.

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