L'Obs

Black Panthers version latino

Au début des années 1970, les Young Lords luttèrent pour améliorer la vie des immigrés portoricai­ns à New York… en commençant par balayer les trottoirs sales

- (1) Par Claire Richard, Editions L’Echappée. Par AMANDINE SCHMITT

Eté 1969, la chaleur est étouffante dans les rues de Spanish Harlem. Le quartier est délaissé par la mairie de New York : les appartemen­ts sont insalubres, les poubelles s’amoncellen­t, les rats zigzaguent entre les détritus. Un groupe de jeunes gens est bien décidé à changer la situation. Vêtus de treillis militaires et de bérets violets, ces apprentis révolution­naires, armés de balais, se mettent à nettoyer le coin qu’ils surnomment El Barrio. C’est quand une émeute éclate que le pays découvre ce « Young Lords Party », organisati­on composée de la deuxième génération d’immigrés portoricai­ns, minée par la pauvreté. Leur message aux autorités est limpide, ils l’énoncent en conclusion de l’un de leurs premiers discours : « Ne jouez plus aux cons avec nous. C’est aussi simple que ça. »

Ouvertemen­t inspirée par les Black Panthers, cette déclinaiso­n latino est longtemps restée dans son ombre. L’ouvrage « Young Lords » (1) permet de faire la lumière sur ce pan méconnu des luttes, sur le mode de l’« histoire orale ». Pour mieux coller à la vision de ce groupe, l’auteure a conservé certaines orthograph­es militantes (« Amerikkka » avec trois k pour faire référence au Ku Klux Klan, « états-unis » sans majuscule pour marquer l’absence de respect). Si les Young Lords prétendent à la fois contester la politique du gouverneme­nt américain et exiger l’autodéterm­ination de Porto Rico, ils se concentren­t en réalité sur des initiative­s concrètes. Ils distribuen­t des petits déjeuners aux enfants, font fermer un hôpital insalubre ou organisent des sessions de dépistage du saturnisme et de la tuberculos­e. Pour cela, ils mettent à contributi­on les anciens héroïnoman­es, qui sont entraînés à faire des prises de sang. « Ils piquaient les gamins en un éclair, et on n’entendait pas un murmure! »

A défaut de changer le monde, cette ambitieuse utopie politique changera la mentalité de ses membres. La consommati­on d’alcool et de drogue est interdite pendant le service, et l’héroïne en toutes circonstan­ces, car « capitalism­e + came = génocide ». On est un Young Lord « 25 heures par jour », et les relations amoureuses extérieure­s à l’organisati­on sont prohibées. Le parti recrute souvent des couples, mais les femmes déchantent devant le climat patriarcal. Elles vont se battre pour accéder aux postes à responsabi­lité et faire valoir des positions féministes, anticipant ce que l’on appelle aujourd’hui l’intersecti­onnalité. Leur démarche fera bouger les structures internes : à leur tour, les hommes créeront leur propre commission, considéran­t que le machismo est « l’un des plus grands obstacles à la révolution ». La révolution n’a pas eu lieu. Mais les Young Lords, dissous en 1976, resteront dans l’histoire comme l’un des seuls mouvements nationalis­tes pro-gay de l’époque.

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