JACQUES AUDIARD
De tous les cinéastes français révélés ces dernières années, Jacques Audiard est certainement l’un des plus passionnants. Son fonctionnement, déjà, est original : il revisite les genres. En un seul film, il peut passer du polar au mélo, du social au thriller, comme dans « De rouille et d’os » ou dans « Un prophète ». On peut avoir des réserves sur la façon dont il referme les tiroirs dans la deuxième partie de ce dernier film, mais c’est brillant. La réalisation est superbe, Tahar Rahim est absolument génial – c’est une performance qui est le top de sa carrière, que peu d’acteurs français ont égalée – et Reda Kateb est inoubliable. « Un prophète », histoire de la naissance d’un chef, renoue avec un grand classique, «l’Opéra de
— Le réalisateur sort un western à l’américaine. —
quat’sous ». On voit naître une nouvelle pègre, et c’est fascinant. L’idée que Jacques Audiard passe désormais à un genre spécifiquement américain, le western, est très excitante. « The Sisters Brothers » racontera l’histoire de deux assassins, des tueurs à gages, qui traquent un chercheur d’or. Sur ce sujet, je m’attends à une tragédie grecque avec des masques contemporains. Audiard prend ainsi la suite des grands cinéastes européens qui ont tourné des films américains, comme Jean Renoir, Fritz Lang, Max Ophuls et d’autres. De plus, il a un casting de rêve : Joaquin Phoenix, Jake Gyllenhaal, John C. Reilly. Il n’y a pas beaucoup de réalisateurs français qui peuvent obtenir le final
cut, là-bas : d’habitude, on les prie de vider leurs poches avant de laisser derrière eux ce qu’ils ont tourné, et on les prie de partir sans se retourner. Avec Audiard, gageons que ce n’est pas le cas, et qu’il a le mojo pour garder le contrôle complet de son film. Le plus intéressant, c’est que « The Sisters Brothers » tranche sur le panorama du cinéma français actuel : il y a beaucoup de cinéastes qui font des films simplement pour entretenir la machine, donner du travail à des techniciens, faire tourner le manège. Chacun se limite à sa monture, et espère que la bête aura droit à son tour de piste. Ce n’est pas le cas de Jacques Audiard : il y a une autre nécessité derrière, une sorte d’urgence. D’ailleurs, il y a un avant et un après les films d’Audiard. Cinéaste très intuitif, qui sait empoigner la société française, qui comprend ce qui bouge, il sort constamment ses capteurs. Son western, comme ses autres films, sera un marqueur.