Les lundis de Delfeil de Ton. Les mots croisés
Où l’on voit qu’ils ont manqué se noyer
Supposition que ce CETA, qui n’est même pas du français bien que passé entre l’Europe et un Canada comprenant le Québec (Comprehensive Economic and Trade Agreement), supposition que cet accord économique et commercial global, AECG comme nous aurions dû l’appeler, tombe aux oubliettes comme vient d’y tomber son frère TAFTA, lequel se passait avec les Etats-Unis, il en restera un poème de José Bové. José Bové ? Un poème ?
Il ne savait peut-être pas qu’il en écrivait un. Il l’a publié dans « Libération » en septembre, le 12, dans une page « Idées » où s’expriment des invités du journal et qu’il signait en tant que « ancien paysan, député européen ». L’explouc, dans sa tribune, défendait des « fromages sacrifiés », fromages de France dont les appellations n’étaient pas, dans ce traité de libre-échange, protégées. Le chroniqueur ne prétend à aucune compétence en matière d’échanges commerciaux ni de productions agricoles, mais vous allez voir la poésie qui se dégage de ces fromages, telle qu’exprimée par la plume de José Bové et pourtant il ne s’est pas cassé le bonnet, le bougre, il a suivi l’ordre alphabétique. Poésie automatique. Le poème était là. Su sait de copier.
« Le banon, le bleu de Gex Haut-Jura, le bleu des Causses, le bleu du Vercors-Sassenage, le brie de Melun, le broccio, le chaource, le charolais, le chevrotin, l’emmenthal français est-central, la fourme de Montbrison, le gruyère, le laguiole, le langres, le mâconnais, le maroilles, le vacherin du Haut-Doubs, l’ossau-iraty, le pélardon, le picodon, le pouligny-saint-pierre, la rigotte de Condrieu, le rocamadour, le saint-marcellin, le sainte-maure-de-touraine, le salers, le sellessur-cher, le soumaintrain, la tome des Bauges, la tomme des Pyrénées, le valençay. »
Trente et un fromages, autant de merveilles, que les négociateurs européens du CETA n’ont pas été fichus d’introduire dans l’accord pour que nul, au Canada, ne puisse sous leur nom fabriquer un produit qui n’aurait rien à voir. Voilà qui donne à penser que le Parlement wallon, seul en Europe qui bloque la signature du CETA, au grand scandale des soi-disants réalistes, nous rend un fier service. S’il y va ainsi pour les fromages, dans leur CETA, il pourrait bien en aller pareillement pour d’autres choses.
Sérieuse, cette histoire de CETA? Un certain Ihab Leheta, nous apprend l’AFP, ne décolère pas. Il travaille pour le groupe Daiya dont le siège se trouve à Vancouver et qui vend de la « mozzarella », du « cheddar », du « gruyère » qui n’ont jamais vu l’Italie, l’Angleterre ni la France. Ihab Leheta est responsable de leur di usion et d’une foule de produits aussi gastronomiques qu’il est impatient d’écouler en Europe. Pourquoi s’en prendre à ce Leheta et à son groupe ? Ils sont nombreux, au Canada (et nombreux, les industriels des Etats-Unis avec une branche canadienne), à partager son dépit. C’est qu’avec Daiya, on dépasse les limites de l’indécence. Ce groupe, fait remarquer l’AFP, sous des appellations prestigieuses comme celles qu’on vient de citer, fabrique des fromages qui en disent long sur ce qui nous attendrait s’il pouvait s’ébattre à son aise dans toute l’Europe, il est « spécialisé dans les substituts de fromage sans lait ». Des fromages sans lait. Les végétariens et autres véganes de par chez nous les attendent sans doute avec impatience. Alors, qu’ils leur trouvent des appellations. Qu’ils le montrent, leur sens poétique ! Pas touche à la poésie de nos noms. Pour tous ces ersatz, tiens, un merci aux autorités françaises qui s’apprêtaient à signer le traité.
Question. Pourquoi mon ordinateur, qui vient d’Amérique et envoie ses messages en français, utilise-t-il pour s’adresser à moi un langage familier, à peine correct ? Un incident de lecture survient et voici ce qu’il écrit : « Mince, l’onglet a planté. Restaurer cet onglet. » Mince, on n’a pas moulé des fromages ensemble.
… le poulignysaint-pierre, la rigotte de Condrieu…