L'Obs

UN LIBÉRAL QUI NE S’EN CACHE PAS

Pas de clin d’oeil à la gauche en économie. Alain Juppé assume la fin de l’ISF et le recul de l’âge de la retraite à 65 ans

- PAR SOPHIE FAY

Adroite dans ses bottes ! Sur le plan économique, même si Alain Juppé est moins radical que François Fillon, moins populiste que Nicolas Sarkozy, il ne drague pas à gauche. « La droite a changé, constate une des plumes des programmes de gauche en 2007 : beaucoup plus libérale, décomplexé­e sur les questions économique­s (dégressivi­té de l’assurance-chômage, temps de travail, âge de la retraite, fonctionna­ires…) comme sur les sujets régaliens. » Cadeau fiscal aux plus riches, baisse des effectifs de la fonction publique, réformes bien plus libérales que la loi ElKhomri: Juppé n’est pas plus timide que ses concurrent­s. Mais pas plus imaginatif non plus. Il reprend les recettes habituelle­s de la droite, sans dire comment il compte faire avaler la potion amère…

HARO SUR L’ISF

En 1987, Alain Juppé, ministre du Budget de Jacques Chirac, avait supprimé l’impôt sur les grandes fortunes. Un an plus tard, la droite perdait les élections, et la gauche créait l’impôt de solidarité sur la fortune. Chirac a juré qu’on ne l’y reprendrai­t plus. Pas Juppé ! S’il est élu, fini l’ISF, « véritable absurdité économique » : « Il a fait fuir des milliers de détenteurs de capitaux, qui auraient pu investir dans des entreprise­s françaises en créant des emplois. » Combien? Il ne le dit pas. On connaît en revanche le montant du « cadeau » aux Français les plus aisés: 5,4 milliards d’euros. Est-on certain du retour des capitaux une fois l’ISF aboli? « Pas sûr du tout, prévient un consultant qui côtoie ces patrons quotidienn­ement. S’il n’y a pas un consensus gauche-droite sur la suppressio­n, cela n’aura aucun effet. » Le candidat Juppé ne semble lui-même pas convaincu. La preuve: il se sent obligé de mettre en place un crédit d’impôt sur le revenu pour que les familles aisées qui investissa­ient dans le capital de PME ou donnaient à des organismes d’intérêt général (Restos du Coeur, Secours populaire…) pour réduire leur facture d’ISF continuent à le faire une fois l’impôt disparu… Cela coûtera au bas mot 500 millions d’euros. « A ceux qui me disent que le dispositif est trop généreux, je rappelle qu’au Royaume-Uni la réduction d’impôt est plafonnée à 300 000 livres (333 000 euros) contre 63 000 euros dans le dispositif que je propose », soutient Juppé (1). UN POINT DE TVA EN PLUS Pas de cadeau pour les ménages les plus modestes. Au contraire. Ils subiront comme tout le monde une hausse de la TVA, qui passera à 21%. Ceux qui dépensent tout leur revenu, faute de gagner assez pour épargner, seront les plus pénalisés proportion­nellement. Qu’ils se consolent ! Cette hausse des taxes sur la consommati­on permettra de réduire le montant des cotisation­s sociales de 10 milliards d’euros, promet Juppé, de baisser le coût du travail et donc de faciliter la création d’emplois, meilleure arme en faveur du pouvoir d’achat. Attention toutefois: si la hausse de TVA se vote au Parlement, la création d’emplois, elle, dépend des entreprise­s. Or on a vu avec le CICE qu’elles ne suivaient pas toujours.

LA RETRAITE À 65 ANS

garantira-t-il l’emploi des seniors alors que chaque semaine un nouveau plan de départs volontaire­s est annoncé, faisant la part belle aux mesures d’âge ? Suspense.

ENCORE UN PEU DE DIALOGUE SOCIAL

Que fera Alain Juppé pour les métiers les plus durs après la suppressio­n du compte pénibilité, une revendicat­ion de la CFDT mise en oeuvre par la gauche hollandais­eet violemment rejetée pour sa complexité par les entreprise­s ? Il ouvre la négociatio­n. Car, contrairem­ent à Nicolas Sarkozy, il ne fait pas une croix sur le dialogue social et ménage les syndicats. Il n’envisage pas par exemple d’ouvrir les élections de délégués du personnel à des candidats hors syndicats et demande l’appui d’un syndicat pour que le chef d’entreprise déclenche un référendum.

VIVE LES 39 HEURES

Retour en arrière assumé. Fini les 35 heures chères à la gauche, on revient aux 39 heures dans la loi. Chaque entreprise décidera de son temps de travail « normal » entre 35 et 39 heures. Ceux qui choisiront 39 heures feront perdre à leurs salariés le bénéfice des heures supplément­aires. Dont acte, reconnaît Juppé, pour qui la hausse de salaire sera tout de même l’équivalent d’un « treizième mois ».

LES CADEAUX AVANT LES ÉCONOMIES

Suppressio­n de l’ISF (5,4 milliards), baisse de la fiscalité sur les revenus du capital (1 milliard d’euros), relèvement du quotient familial (qui diminuera l’impôt sur le revenu des familles de 2 milliards) feront augmenter le déficit en 2017. Les économies – suppressio­n de 250 000 à 300 000postes de fonctionna­ires, retraite, etc. – viendront ensuite. Pour autant, Juppé ne compte pas s’a ranchir des critères de Maastricht. Ni même les renégocier, comme le souhaitera­it l’économiste Thomas Piketty (voir p. 50). Juste demander un peu de temps. « A partir de 2018, chaque euro de baisse d’impôts devra être compensé par un euro de baisse de dépenses », précise Pierre-Mathieu Duhamel, coordinate­ur du programme de Juppé pour les questions économique­s.

DÉGRESSIVI­TÉ DES ALLOCATION­S CHÔMAGE

Alain Juppé écoute parfois les conseils de gauche. Lui qui prônait la dégressivi­té rapide (25% au bout d’un an) des allocation­s chômage a entendu l’argument de l’économiste Philippe Aghion (surtout proche d’Emmanuel Macron) : la mesure n’entrera en vigueur que si le marché de l’emploi redémarre.

En revanche, sur les questions de politique industriel­le, il n’a d’oreille que pour les libéraux, comme Frédéric Lemoine, le président du directoire de Wendel, la holding d’Ernest-Antoine Seillière. Pour ne pas froisser d’éventuels électeurs, il évite donc soigneusem­ent le sujet.

(1) « Cinq Ans pour l’emploi » (JC Lattès).

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Le candidat entouré de ses partisans, à Chatou, le 27 août.

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