Une Camerounaise en Amérique
Auteur d’un premier roman vendu dans quatorze pays, Imbolo Mbue décrit le rêve américain d’une famille africaine. Touchant
VOICI VENIR LES RÊVEURS, PAR IMBOLO MBUE, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR SARAH TARDY, BELFOND, 300 P., 22 EUROS.
Après Chimamanda Ngozi Adichie (née au Nigeria), Taiye Selasi ou Helen Oyeyemi, voici la nouvelle romancière afro-américaine, adoubée par Toni Morrison, et dont les éditeurs se sont arraché les droits, en 2014, à Francfort. Les voix d’Afrique n’ont, à juste titre, jamais eu autant la cote aux Etats-Unis. Raison de plus pour découvrir le premier roman d’Imbolo Mbue (photo), née, elle, au Cameroun. Dans « Voici venir les rêveurs », Jende, un ancien cantonnier camerounais, réussit à s’exiler aux Etats-Unis et se retrouve à faire la plonge dans un restaurant de Manhattan. Si sa situation professionnelle n’est guère enviable, Jende est un irréductible optimiste. Sa foi dans la grandeur des Etats-Unis ne vacille jamais. Par bonheur, il réussit à se faire engager comme chauffeur par un cadre dirigeant de Lehman Brothers. Il est ponctuel, dévoué, corvéable à merci. Bref, c’est l’employé idéal. Il sait aussi fermer les yeux quand Clark Edwards, son patron, lui demande de faire un crochet en ville pour aller prendre du bon temps avec une prostituée. Il est vrai que Clark n’a pas la vie facile : sa boîte prend l’eau, son fils est en train de lâcher le droit pour aller en Inde, et Cindy, sa femme, lui met la pression.
Justement, Cindy propose à Neni, l’épouse de Jende, de s’occuper du ménage dans leur belle demeure des Hamptons. Neni ne tarde pas à comprendre que Cindy, délaissée par son mari, noie son chagrin dans l’alcool. Cindy achète son silence en lui proposant de se servir dans sa garde-robe. Et c’est ainsi que Neni se retrouve dans les rues de Harlem à traîner des sacs remplis de tops Gucci ou Valentino. On a compris le message: tous les rêves ont leur envers, y compris l’américain. Opposant de manière exagérément appuyée la trajectoire des deux familles, l’auteur en appelle, entre les lignes, à une révision des valeurs. La pauvreté n’est-elle pas source de sagesse et de richesse intérieure? L’opulence ne s’accompagne-t-elle pas d’un dessèchement affectif, d’une froideur? Là encore, les clichés font loi. Mais les personnages sont attachants, et le regard d’Imbolo Mbue n’est pas dénué d’une humanité qui fait tout le prix de son livre.