Artiste de la douleur
LES COÏNCIDENCES EXAGÉRÉES, PAR HUBERT HADDAD, MERCURE DE FRANCE, 160 P., 17 EUROS, ET GÉOGRAPHIE DES NUAGES, PAULSEN, 114 P., 10 EUROS.
Enchaîner la lecture de deux ouvrages d’Hubert Haddad est peut-être un « plaisir excessif », comme écrivait Debussy. Par chance le second (« Géographie des nuages ») est un recueil de nouvelles vite écrites, et vite lues, qui n’ajoute rien de trop capiteux au premier, tellement saturé d’images qu’on en sort étourdi. « Les Coïncidences exagérées » (dont l’une est implicite : on y retrouve la même nostalgie de Tunis que dans les livres de Colette Fellous, l’éditrice de celui-ci) est une longue et douloureuse méditation sur quelques situations qui se sont rencontrées, comme dans une sorte de coup de foudre chronologique – attestant par là cette thèse ancienne selon laquelle la vie intérieure aurait une influence mystérieuse mais réelle sur les événements. On retrouve ce rapprochement dedans/dehors jusque dans le plus innocent qualificatif, la moindre métaphore (« bleu poignant du ciel », « artère battante des vérités ultimes », dans la même page). Les morts, les lieux, les livres, les suicides (évités ou accomplis), tout entre dans un vaste système de correspondances, « périlleuse histoire d’éternel retour » où les sons et les parfums se répondent à des années de distance. Le sensible est le domaine d’Haddad, et sa prodigieuse production métaphorique est sa fonction littéraire. Il est un artiste de la douleur, comme d’autres le sont du récit ou de l’invention de concepts. Il n’est de poésie que dans l’inconsolable. Chaque instant est accompagné de son bourreau, présent et passé. Ainsi, la distraction. Ce n’est pas grand-chose, la distraction, à peine un petit travers. Mais « ma mère aux distractions de proscrite », « je courais les champs de mines avec une distraction de décapité », c’est tout Hubert Haddad, dont l’âme est « scarifiée aux rasoirs de l’angoisse », et qui poétise tout ce qu’il touche, jusqu’à la plus modeste machine à écrire, « maigre piano d’acier ». Cette prose tourmentée, luxuriante, où mille idées se logent dans un mot comme des graines dans une cosse, est étou ante autant qu’enthousiasmante. On peut se rafraîchir avec le mot léger de Sacha Guitry : « Comme j’aurais sou ert si j’avais voulu ! »