LE DANGER DES PALMARÈS
“Dans le sillage de la globalisation de l’économie, le sentiment d’une compétition pour l’emploi et la carrière entre les individus de la planète s’est installé, dénonce l’universitaire Mark Bray (1). Il s’est accru avec la naissance de palmarès internationaux d’universités, comme celui de Shanghai. Peu à peu, la confiance des parents dans l’école pour garantir l’avenir de leurs enfants s’est érodée. Les familles recherchent tous les moyens pour prendre de l’avance et rester en tête de cette compétition. Ce phénomène a débuté en Asie de l’Est, où les économies sont dynamiques, et les moyens de communication, fortement développés, avant de se propager un peu partout dans le monde. Dès 1999, l’Unesco m’avait demandé un rapport sur la question. A l’époque, en Europe, on ne prenait pas le problème au sérieux, on me disait : ce que vous racontez là, c’est vrai en Corée, au Japon, pas chez nous. Regardez ou nous en sommes aujourd’hui… Seuls des pays comme ceux où le niveau de confiance dans le système éducatif reste élevé, comme la Scandinavie, y résistent encore. Les organismes privés surfent sur l’angoisse des familles, et ils rivalisent d’innovations, multiplient les formules pour attiser la demande. Il ne s’agit pas de venir en aide à des jeunes qui souffriraient de difficultés, mais de plus en plus souvent d’accroître l’avance de bons élèves désireux d’entrer dans les meilleures filières. Ils augmentent les inégalités sociales. L’objectif d’une éducation gratuite et accessible à tous est pourtant considéré par les instances internationales comme fondamental, mais rares sont les gouvernements à avoir pris des mesures pour contrecarrer ce mouvement. Il faut que les parents prennent conscience qu’on impose aujourd’hui à des enfants une pression et une cadence que la plupart des adultes ne supporteraient pas : travailler sans cesse, le soir après la classe, le week-end, pendant les vacances… Et les nouvelles technologies ne font qu’intensifier cette pression.”
RECUEILLI PAR VÉRONIQUE RADIER (*) Titulaire de la chaire Education comparée à l’Unesco, auteur de plusieurs rapports.