L'Obs

Le succès de votre séminaire « Marx au xxie siècle », mais aussi de philosophe­s tels qu’Alain Badiou ou Slavoj Zizek, témoigne-t-il du retour en France d’une sorte de « fierté communiste » ?

-

Ces deux-là m’ont fait l’honneur de venir parler à la Sorbonne. Et je mesure le courage qu’a eu Badiou en reprenant, comme un étendard, le mot « communisme ». Mon séminaire, ça n’est jamais qu’un petit îlot dans lequel des idées qui me sont chères peuvent à nouveau s’exprimer librement. Dans les années 1980, c’était impensable. Des amis m’exhibaient dans certains dîners presque comme un animal de zoo, parce que je persistais à ne pas concéder que tout est bon à jeter dans ce qui fut le « socialisme réel ».

Inévitable­ment, l’idéal communiste revient. Une foule de gens sont écoeurés par le système capitalist­e, et par ce monde qui ne propose que des guerres menées sous l’égide de la bannière étoilée. Il faut que notre pays soit formaté à un point inouï et que François Hollande concoure pour le poste de premier caniche de la Maison-Blanche pour qu’une affaire comme celle des écoutes de la NSA tombe aussi vite à l’eau ! M. Valls déplore qu’un pays « ami », dont nous sommes, rappelle-t-il, les « alliés », emploie de telles méthodes ! Misère de l’indépendan­ce nationale ! La politique de De Gaulle, qui n’avait rien de communiste, avait tout de même plus de panache ! Quand nous n’étions pas d’accord avec les EtatsUnis, nous avions naguère la grande audace de le faire savoir ! Voyez même le discours de Villepin à l’ONU, avant la guerre d’Irak, en 2003 : il a attiré à la France bien des sympathies, qu’elle n’a d’ailleurs jamais su retrouver depuis. Vous avez été favorable à l’abolition de la peine de mort, mais vous vous montrez critique à l’égard des conditions dans lesquelles elle s’est faite. Pourquoi ? C’est que cette abolition a servi d’arbre, dès 1981, pour cacher la forêt des promesses que trahissait le gouverneme­nt de François Mitterrand qui avait lui-même été garde des Sceaux pendant la guerre d’Algérie ! Ce défenseur de la dignité humaine avait alors laissé conduire à la guillotine une cinquantai­ne de patriotes algériens. Il ne disposait peut-être pas, à lui seul, du droit de grâce, mais il disposait pourtant, j’imagine, de celui de se révolter.

Enfin, je n’aurais pas été fort choqué par l’exécution d’un Hitler ou d’un Pinochet. Je pense que cela aurait contribué à décourager leurs émules. Laisser des auteurs de crimes de masse plastronne­r, fomenter de nouveaux coups tordus, ou bénéficier de compassion­s orchestrée­s et intéressée­s, c’est une insulte aux victimes ! Mais, vous savez, j’ai simplement souhaité faire dans mon livre le procès d’une « gauche » qui en fit des tonnes sur l’abolition, alors que, sur l’essentiel, elle tournait le dos à ses engagement­s, à sa mission, en se soumettant à la politique des maîtres de la finance et en faisant le lit de cette extrême droite qui prospère à nouveau en Europe.

Newspapers in French

Newspapers from France