L'Obs

Vous ne croyez pas à la possibilit­é de transforme­r la zone euro de l’intérieur ?

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On peut imaginer une autre architectu­re de la zone euro, un fonctionne­ment différent des banques centrales européenne­s, une politique de redistribu­tion qui corrigerai­t les inégalités régionales, une pensée qui abandonner­ait le dogme de l’austérité. Le problème, ce n’est pas ce qu’on peut imaginer mais ce qu’on peut faire. Le fonctionne­ment actuel des institutio­ns européenne­s rend impossible de tels changement­s. Une unificatio­n monétaire nécessite une unificatio­n politique avec la création d’un Etat qui rééquilibr­e les disparités. Mais l’Union européenne n’est pas un Etat et ne peut donc pas avoir une monnaie unique comme le montre le fonctionne­ment de la zone euro, fondé sur le rôle prééminent de l’Allemagne. Voilà pourquoi je pense qu’il est vain de vouloir la réformer. Mais même si on pense que c’est possible, l’Union a besoin d’un choc pour changer. La sortie de la Grèce de l’euro peut être ce choc.

La Grèce se sacrifiera­it ? Non, car sortir de l’euro est sa seule chance de survie. Il est impossible de renverser les conséquenc­es de cinq années d’austérité sans recouvrer notre souveraine­té monétaire. C’est la seule voie pour pouvoir appliquer une politique économique qui rompe avec l’orthodoxie néolibéral­e des institutio­ns et nous permette de sortir du cercle vicieux de la dette. Le coût social et économique d’une sortie de l’euro risque pourtant d’être encore pire… Ce n’est pas une décision facile. Mais rester dans l’euro, c’est se résigner à accepter la récession et la pauvreté. Il faut convaincre la population qu’un effort collectif temporaire sera nécessaire pour aller vers un meilleur futur. Nous sommes à un tournant de l’histoire. La crise a été un moment cathartiqu­e. Elle nous a fait réfléchir à tout ce qu’on a fait pendant des années. Car ce n’est pas seulement une question de monnaie. Il est nécessaire de repenser ce qu’on appelle la croissance, la production, la consommati­on. On doit réinventer des formes d’industrie, réduire notre dépendance en matière d’importatio­ns, ne pas tout miser sur le tourisme… On va pouvoir expériment­er à partir des expérience­s de la crise : toutes les formes de solidarité et de réseaux parallèles sont des pistes pour organiser un nouveau modèle productif et social. C’est faisable. Des économiste­s ont étudié ce scénario de sortie de l’euro. Le passage par une monnaie parallèle jusqu’à l’adoption complète d’une devise nationale, un nouveau taux de change, une nationalis­ation du système bancaire… C’est un vaste chantier. Mieux vaut donc que l’on prépare nous-mêmes notre sortie plutôt que de se voir expulsés par les institutio­ns européenne­s. Mais la population dans son ensemble reste défavorabl­e à une sortie de l’euro… Les Grecs ont montré qu’ils avaient plus de courage que ce que l’on pensait. Ils sont de plus en plus prêts à abandonner l’euro. Mais il est vrai qu’on ne pourra éviter une confrontat­ion avec une partie de la société qui a profité du modèle européen. C’est d’ailleurs un des problèmes de Tsipras : il cherche à satisfaire tout le monde, ce qui est impossible.

La zone euro survivrait-elle à une sortie de la Grèce ? J’espère qu’un départ de la Grèce serait suivi d’une réaction en chaîne. Car le problème de la dette et de l’austérité se pose aussi ailleurs, en Espagne, en Italie, en France. Ce serait le début du démantèlem­ent de l’euro, et, avec lui, de l’Union européenne, qui traverse déjà une crise profonde. Récupérer une souveraine­té non seulement nationale mais aussi populaire, c’est la seule voie possible pour construire une Europe des solidarité­s.

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