“LES JUSTES ÉTAIENT COMME VOUS ET MOI”
Dans ses Mémoires, l’ancien résistant juif Lucien Lazare refuse le rôle de la victime. Une voix singulière qui n’a pas perdu sa foi en l’homme
Il a 90 ans, et, depuis son entrée dans la résistance juive française, il n’a cessé de lutter à contre-courant. En France, il s’est battu pour promouvoir la culture juive. A Jérusalem, depuis 1968, il défend la culture française et la laïcité. Mais le plus surprenant chez cet arrière-grand-père à l’esprit toujours aventureux, c’est encore sa bienveillance, son absence totale de rancoeur. comprendrez bien plus tard, devenu historien, que vous avez participé à ce que vous appelez la « résistance non violente ». Pouvez-vous expliquer ce concept ? Ce que je vais vous raconter, il m’a fallu un quart de siècle pour le formuler ainsi. Pour la plupart des Français et même des Européens, la résistance est une a aire militaire. Or ma femme et moi avons oeuvré pendant la guerre sous la férule de dirigeants juifs qui, d’après mes recherches, ont refusé de s’allier à la résistance armée. De leur côté, ils avaient mis en place une stratégie de sauvetage, sans armes, qui s’est révélée e cace. Si nous avions eu des armes, et eu comme objectif d’abattre les uniformes, nous aurions sauvé aussi peu de personnes que la résistance communiste avant le Débarquement en Normandie. Ce phénomène de « résistance non violente » est commun à toutes les crises génocidaires. Il a aussi fait ses preuves, il y a cent ans, avec les Arméniens, et fut utilisé plus récemment au Cambodge ou au Rwanda. Loin d’être un partisan de l’idéologie sioniste, vous quittez pourtant la France où vous avez grandi, en 1968, pour Jérusalem, avec toute votre famille. Qu’est-ce qui a motivé cette alya ? Jeune, mon ambition était de servir la grandeur de la France. Il n’y a aucune dérision dans mes propos, tout cela était très sérieux quand j’avais 14 ans. Mes copains du lycée de Metz et moi étions des patriotes, convaincus de la supériorité de l’armée française qui venait de gagner la Première Guerre mondiale. Mais Pétain, Vichy, le statut des juifs et ma désignation comme étant indigne de partager l’honneur d’être français ont fait de moi un autre homme, n’ayant plus comme priorité de servir ce pays.
Néanmoins, le drame de la Seconde Guerre mondiale n’explique pas seul mon départ à Jérusalem. L’émergence d’un Etat national juif est un événement extraordinaire dans l’histoire des peuples. Ma famille et moi étions très excités de contribuer, à notre échelle, à l’histoire du genre humain. Et pourtant, plus le temps passe, moins je me sens en accord avec la politique locale. La paix nous semble loin à Janine [sa femme, NDLR] et moi, même si je pense qu’elle finira par triompher,