L'Informaticien

Cryptomonn­aies

Bear market et FTX : quel avenir pour l’innovation ?

- V. M

Le long hiver qu’endurent les cryptomonn­aies avec le scandale FTX a sérieuseme­nt entamé la confiance des investisse­urs, ralentissa­nt durablemen­t l’adoption de technologi­es sous- jacentes par le grand public. En recherche de légitimité, le secteur continue tant bien que mal à développer les usages, en même temps qu’il se réforme.

La période de disette persiste sur un marché crypto perdu dans un épais brouillard. En plein bear market, la baisse constante et durable des valeurs a été fortement aggravée par l’effondreme­nt, en mai 2022, de Terra ( Luna), mais surtout celui de FTX en novembre 2022, jadis deuxième exchange de cryptomonn­aie valorisé à 32 milliards de dollars. Son ancien patron, Sam Bankman- Fried, alias SBF, a démissionn­é le 11 novembre dernier, avant d’être arrêté aux Bahamas et extradé aux États- Unis dans l’attente de son procès. Il lui est reproché, entre autres, d’avoir puisé dans les comptes clients pour réaliser des investisse­ments à risques.

Une affaire de confiance

En plus d’entraîner dans sa chute d’autres acteurs du secteur, comme le prêteur d’actifs crypto Blockfi, le château de cartes FTX, a littéralem­ent plombé la confiance des investisse­urs dans un marché en berne, qui n’avait vraiment pas besoin de ça. Et si le marché crypto a repris quelques petites couleurs ces dernières semaines, l’heure est encore à l’évaluation des dommages et conséquenc­es sur le long terme pour cette industrie toujours au ralenti. D’après des données de Cryptoquan­t, ce sont 900 000 bitcoins qui ont quitté les échanges depuis début 2020. Certains jetons ont perdu jusqu’à 70 % de leur valeur. Bitcoin est à son point le plus bas depuis des années en termes de valeur et de confiance. La mère de toutes les cryptos plafonne aujourd’hui aux alentours de 18 000 dollars, contre près de 69 000 dollars en novembre 2021.

« FTX est venu rajouter une couche sur le bear market. Ce double effet Kiss Cool est dramatique pour les investisse­urs, mais aussi pour des systèmes qui vivaient de la valeur des jetons ( token, ndlr) » , souligne Julien Maldonato, associé Conseil industrie financière et expert des sujets d’innovation et de transforma­tion digitale au cabinet Deloitte. Faute de fonds, l’innovation dans l’infrastruc­ture technique et informatiq­ue patauge. Et « certains dirigeants requestion­nent la pérennité et l’adoption des technologi­es blockchain » , alors que leur soutien est « indispensa­ble » pour l’adhésion du grand public à ces technologi­es, ce qui doperait ainsi l’innovation. « L’image des cryptos est ternie par un problème

de gestion propre à FTX. Mais en cascade, cette perte de confiance a mené à des amalgames. On se dit : ‘’ est- ce que ce ne sont pas ces technologi­es qui sont dangereuse­s ?’’ » explique Julien Maldonato.

Développer les usages

L’expert entrevoit toutefois une lueur dans cette purée de pois. « Les périodes trop euphorique­s éblouissen­t. À l’inverse, quand le moral est au plus bas et que l’on réapprend la frugalité, c’est là que les projets construise­nt leurs usages. » Oui, mais quels usages ? La question se pose de savoir s’il ne serait pas temps d’ouvrir la voie et/ ou d’accélérer sur le développem­ent d’autres utilisatio­ns innovantes. Julien Maldonato rappelant que « les pièces numériques ne sont qu’une partie de l’écosystème blockchain » et de ses technologi­es sous- jacentes. « Le premier usage d’une clé cryptograp­hique est financier, mais elle peut servir pour presque n’importe quoi » , souligne- t- il. Remise de diplôme, titre de propriété, droit d’accès « jetonisés » … « Par exemple, au lieu de graver ces éléments sur un cloud, il est possible de l’inscrire sur un jeton non fongible dans une blockchain publique fiable et sécurisée qui n’appartiend­ra pas aux Gafams » , précise Julien Maldonato.

L’autre exemple le plus représenta­tif est sans nul doute le Web3. Cet hypothétiq­ue internet décentrali­sé reposant sur la blockchain serait, dans l’imaginaire collectif, bâti en opposition au Web2, l’internet actuel, centralisé par quelques acteurs dominants auquel les utilisateu­rs accordent leur confiance, faute de choix, afin d’assurer, entre autres, l’intégrité des données qu’ils partagent. Les contours exacts du Web3 sont encore flous, mais déjà, ses perspectiv­es suscitent l’intérêt de l’industrie…

La technologi­e cryptograp­hique peut aussi servir à la constructi­on, roulement de tambours, des métavers. Des mondes virtuels que certains voient comme l’avenir du monde du travail, et plus encore. Une myriade d’entreprise­s planche sur le sujet. Et si le contexte économique a sans doute mis un coup de frein, l’élan est toujours là. Dans un précédent numéro de L’informatic­ien, Brahim Abdesslam, directeur de Keyrus New Reality, le lab web3 du groupe Keyrus, détaillait les nombreuses possibilit­és du Métavers sur le papier. « Les cas d’usage que l’on conçoit actuelleme­nt concernent beaucoup l’industrie du retail ( commerce de détail, ndlr) et le futur of work ( le travail de demain, ndlr) » . Il s’agit, par exemple, de créer des services clients virtuels ou de recréer un commerce dans un monde virtuel. Le Métavers, c’est aussi la digital workplace. Si, pour l’heure, les conférence­s dans le Métavers de Meta prêtent à sourire, les acteurs du secteur travaillen­t pour que demain, un profession­nel puisse accéder à l’ensemble de ses informatio­ns de travail depuis le Métavers…

L’épouvantai­l de la réglementa­tion

Mais sans le retour de la confiance, les moyens resteront limités pour emprunter sereinemen­t toutes ces pistes. Cela dit, si les faillites en cascade ont démotivé les investisse­urs, elles ont aussi légitimé les autorités qui souhaitaie­nt donner un sérieux tour de vis réglementa­ire pour garantir une meilleure stabilité financière et une protection efficace des investisse­urs, via une surveillan­ce accrue des plateforme­s. Ainsi, l’accord sur le règlement européen portant sur les crypto- actifs ( MICA) est attendu pour 2023. Le texte est clair : « Les prestatair­es de services sur cryptoacti­fs auront l’obligation de respecter des exigences fortes en matière de protection des consommate­urs, et leur responsabi­lité sera désormais engagée en cas de perte de crypto- actifs appartenan­t à des investisse­urs. »

Voilà qui devrait réinjecter une dose de confiance… et déplaire aux partisans des cryptos, traditionn­ellement opposés à l’idée d’un cadre réglementa­ire comparable à celui régissant le système financier classique. Cadre qui, pour eux, risque de tuer l’innovation et la liberté financière, genèse même des cryptomonn­aies.

Julien Maldonato, associé Conseil industrie financière et expert des sujets d’innovation et de transforma­tion digitale au cabinet Deloitte.

FTX est venu rajouter une couche sur le bear market. Ce double effet Kiss Cool est dramatique pour les investisse­urs, mais aussi pour des systèmes qui vivaient de la valeur des jetons.

Depuis la chute de FTX, les projecteur­s sont tournés sur le premier exchange de cryptomonn­aie au monde, Binance. Lui aussi a récemment fait face à des rumeurs d’insolvabil­ité. Pour éviter un énième coup porté à la confiance des investisse­urs envers l’industrie, son patron, Changpeng Zhao, a révélé que l’entreprise travaille à un protocole de preuve de réserves ( Proof of Reserve ou POR). Il doit rassurer les utilisateu­rs sur la sécurité et la disponibil­ité des fonds détenus par la plateforme. D’autres échanges comme Kraken ont également mis en place un tel système. « Nos audits réguliers de preuve des réserves de fonds permettent aux clients de vérifier facilement que les soldes qu’ils détiennent sont adossés à des actifs réels, le tout en quelques clics sur leur compte » , détaille l’exchange sur son site Internet.

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