L'HUMANITE

Sonia Backès, l’ordre et l’amorale

- BENJAMIN KÖNIG

Cheffe de file de la droite anti-indépendan­tiste, l’ancienne secrétaire d’état porte une lourde responsabi­lité dans la crise actuelle, entre ses propos incendiair­es, voire séditieux, et son idéologie coloniale. Beaucoup se demandent d’ailleurs comment elle a pu être membre du gouverneme­nt.

Il fallait la voir, juchée sur une estrade, éructant devant une foule chauffée à blanc, lors de la manifestat­ion pour le dégel du corps électoral, le 28 mars : « Je vais leur dire à eux (les indépendan­tistes – NDLR), on a été gentils, trop gentils! Mais c’est terminé, on est là maintenant, on va plus se laisser faire ! On ne partira pas, on va se battre. Je le dis à Paris aux parlementa­ires qui tremblent : le bordel, c’est nous qui le mettrons si on essaie de nous marcher dessus ! » On peut dire que Sonia Backès, la présidente de la Province sud et cheffe de file de la droite calédonien­ne anti-indépendan­tiste, a ce jour-là perdu une nouvelle occasion de se taire. Le souci est que cette lointaine héritière de Jacques Lafleur – dirigeant historique de la droite locale qui serra la main de Jean-marie Tjibaou et engagea le territoire dans la paix – n’en a hérité ni la stature politique, ni l’esprit de responsabi­lité, ni la finesse d’analyse.

Beaucoup, à Nouméa mais aussi à Paris, se demandent encore comment une telle personnali­té a pu intégrer le gouverneme­nt d’élisabeth Borne, en 2022. Elle avait été nommée secrétaire d’état à la Citoyennet­é, attributio­n pour le moins contestabl­e pour celle qui refuse toute notion de citoyennet­é calédonien­ne, pourtant incluse dans les accords de Nouméa. « On est en République française, on est français, on a voté trois fois pour rester français et on est en train de nous mettre dehors par la force », déclarait-elle encore le 16 mai, dans un entretien à Sud-ouest. Ce qui n’a pourtant jamais été le projet de quiconque : en réalité, la question a été tranchée en… 1983, à la conférence de Nainville-les-roches, où étaient réunis Jean-marie Tjibaou et Jacques Lafleur, et dont le texte reconnaît « la légitimité du peuple kanak», et l’ouverture de l’autodéterm­ination, « pour des raisons historique­s, aux autres ethnies dont la légitimité est reconnue par les représenta­nts du peuple kanak ».

À son propos, l’indépendan­tiste Mickaël Forrest (Union calédonien­ne) et ministre de la Culture du gouverneme­nt local, se veut « mesuré ». Selon lui, Sonia Backès représente « une nouvelle génération qui n’a pas de racines politiques. Après le départ de Lafleur, en 2004, le Rassemblem­ent pour la Calédonie dans la République a éclaté et, depuis, les militants anti-indépendan­tistes sont perdus. Ils sont arrivés là comme des cocos à la mer : ils suivent les courants… »

UNE IDÉOLOGIE D’EXTRÊME DROITE

Sonia Backès flirte d’ailleurs très régulièrem­ent avec l’extrême droite : pour les élections provincial­es de 2019 et les référendum­s d’autodéterm­ination de 2018, 2020 et 2021, elle crée l’avenir en confiance, une grande coalition réunissant les partis de droite et le RN. Mais c’est lors de sa nomination ministérie­lle que ces accointanc­es éclatent au grand jour. Au sein de son cabinet, la secrétaire d’état a nommé un certain Brieuc Frogier, fils du sénateur LR Pierre Frogier, l’homme fort de la droite calédonien­ne chez qui Sonia Backès a fait ses armes. Problème : le fils Frogier trempe dans les marigots les plus racistes du Caillou. Lors de la campagne de 2022, il avait été le représenta­nt sur l’archipel d’éric Zemmour. Les médias métropolit­ains s’activent, le scandale éclate, le conseiller démissionn­e rapidement. Mais pour les connaisseu­rs de l’archipel, rien d’étonnant : Brieuc Frogier est un proche de Sonia Backès, qui l’a fait élire sur sa liste aux élections provincial­es de 2019. Ils partagent la même idéologie, celle des colons, et il siège toujours comme conseiller provincial.

Guère étonnant donc d’entendre la présidente de la Province sud vociférer dans les médias métropolit­ains sur le « racisme anti-blancs » des jeunes Kanak. Le 16 mai, elle pointait en ces termes les indépendan­tistes, engagés selon elle « dans un combat ethnique ». Pour les Calédonien­s, partisans de la paix, qu’ils soient indépendan­tistes ou non, le plus sidérant est de voir à quel point Sonia Backès et son acolyte, le député Nicolas Metzdorf, ont pu avoir une oreille si attentive au plus haut sommet de l’état. « Ils sont plus radicalisé­s que le RN local », résume Mickaël Forrest.

À tel point que Sonia Backès n’hésite pas à se montrer séditieuse : le 21 mars, en pleine séance publique du Congrès calédonien, elle avait mis en cause les institutio­ns, ciblant la majorité et le gouverneme­nt qui en est issu. Ce dernier, dirigé par Louis Mapou, est le premier à majorité indépendan­tiste depuis quarante ans. « Vous n’êtes pas majoritair­es ! » avait-elle lancé, avant de quitter la salle en vociférant: « Vous n’êtes plus légitimes ! » Mickaël Forrest était présent ce jour-là : « Ça fait très mal, d’autant plus en tant que membre du gouverneme­nt. Mais il ne fallait pas répondre à la provocatio­n. Notre projet est pour tous les enfants de ce pays, qu’ils soient kanak, blancs, wallisiens, tahitiens, asiatiques… » Et l’on est en droit de se demander qui a mis réellement le feu à la Kanaky - Nouvelle-calédonie. Et qui Emmanuel Macron devrait écouter, et nommer à son gouverneme­nt.

 ?? DELPHINE MAYEUR/HANS LUCAS ?? « On est là, on va se battre », éructe la présidente de la Province sud lors d’un rassemblem­ent à Nouméa, le 28 mars.
DELPHINE MAYEUR/HANS LUCAS « On est là, on va se battre », éructe la présidente de la Province sud lors d’un rassemblem­ent à Nouméa, le 28 mars.

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