Attal-bardella, le débat antidémocratique
Au mépris du pluralisme en pleine campagne électorale, France 2 consacre, ce jeudi, son émission politique à un affrontement entre le premier ministre et la tête de liste du RN. Les deux camps savourent cette opportunité de remettre en scène leur duel.
Enfermer le débat. À moins de trois semaines des élections européennes, la principale chaîne publique fait le choix d’un duel entre le premier ministre Gabriel Attal – qui n’est pas candidat à ce scrutin – et la tête de liste du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella, pour sa principale émission sur cette campagne. Avec l’événement, ce jeudi à 20 h 15, France 2 offre une tribune unique au candidat d’extrême droite, quand les 36 autres têtes de liste déclarées doivent rester devant la télévision. Plutôt que d’organiser un face-à-face avec les représentants des principales listes, comme sur LCI mardi soir, cette antenne fait sciemment le jeu du macronisme et – surtout – de l’extrême droite. Deux forces qui font tout depuis 2017 pour mettre en scène un mano a mano afin d’exclure les autres forces, à gauche principalement. « Un débat organisé pour les élections européennes ne peut se résumer dans notre pays à une confrontation entre la droite et l’extrême droite », a dénoncé le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, dans une lettre au président de l’arcom, Roch-olivier Maistre.
Une aubaine, autant pour Renaissance que pour le RN, chacun faisant mine de se construire sur le rejet de l’autre.
En plus de bafouer l’égalité de traitement entre les camps politiques, cette « affiche » est une aubaine, autant pour Renaissance que pour le RN. Chacun fait mine de se construire, ces dernières années, sur le rejet de l’autre. Emmanuel Macron a emporté deux élections présidentielles grâce au barrage anti-le Pen, quand la détestation du chef de l’état apparaît comme l’un des principaux ressorts de l’ascension du RN. Il y a cinq ans, la tête de liste macroniste Nathalie Loiseau mobilisait déjà la rhétorique d’un « nouveau clivage » entre « progressistes », d’un côté, et « populistes » ou « nationalistes », de l’autre.
Un jeu dangereux qui permet à l’extrême droite de se vendre comme la seule alternative possible au macronisme. « Dans ces élections, vous aurez à choisir entre deux visions de l’europe, donc entre deux destins pour la France. Il y a, d’un côté, l’europe de Macron, de l’écologie punitive, de l’immigration obligatoire, de la bureaucratie. (…) De l’autre côté, vous pouvez choisir l’europe des nations, celle des réalités et du concret, des identités et des frontières », a présenté Jordan Bardella, le 1er mai, en meeting à Perpignan.
Ce faux bipartisme monté de toutes pièces permet de plus à Renaissance comme au RN d’esquiver les thèmes sociaux
sur lesquels ils sont en phase, notamment lorsqu’il s’agit de voter contre la hausse du Smic ou contre l’encadrement des loyers… Un projet antisocial mis en exergue par le candidat communiste Léon Deffontaines sur LCI, mardi. Or, ce n’est pas Gabriel Attal qui pourra lancer, ce jeudi, à Jordan Bardella ce que lui a assené la tête de liste du PCF : « Vos députés RN devraient avoir honte d’avoir trahi les travailleurs de France. Ils ont voté contre L’ISF, contre l’indexation des salaires sur l’inflation, contre la lutte face aux déserts médicaux ! »
VALÉRIE HAYER NE DÉCOLLE PAS
« Jordan Bardella a compris dès janvier qu’installer un duel à distance avec Gabriel Attal, jeune comme lui et présenté comme l’“arme anti-bardella”, servirait ses intérêts, analyse Bruno Cautrès, politologue au Cevipof. Il capitalise ainsi chez les déçus d’emmanuel Macron, très nombreux, et peut critiquer un bilan sans apporter de solutions. »
À peine installé à Matignon, le 9 janvier, le premier ministre s’est vu proposer un débat par le président du RN. Refusé dans un premier temps. Sauf que, depuis, la campagne européenne des macronistes s’enlise. Créditée de 15 % d’intentions de vote dans les sondages, talonnée par
Raphaël Glucksmann et plus de 15 points derrière l’extrême droite, Valérie Hayer ne décolle pas. Alors, Emmanuel Macron a poussé Gabriel Attal à accepter le rendez-vous proposé par Bardella. « Je souhaite qu’il s’engage au maximum dans la campagne en faisant des débats, des meetings, en allant sur le terrain », a-t-il confirmé dans la Tribune dimanche, le 5 mai.
Un nouveau coup de pouce à l’extrême droite, et à Jordan Bardella, seul à pouvoir débattre face au premier ministre et ainsi légitimé. Après lui avoir offert des sièges à la viceprésidence de l’assemblée, après avoir congratulé publiquement ses députés et adoubé son projet xénophobe dans la loi immigration, la Macronie se fait toujours plus le marchepied de l’extrême droite. D’autant que les deux parties ont surtout l’échéance présidentielle en tête. Leur duel de ce jeudi devrait davantage concerner les enjeux nationaux qu’européens, alors que leurs groupes respectifs ne sont d’ailleurs que les 3e et 5e plus importants au Parlement européen. Ou comment profiter d’une campagne électorale pour préparer la suivante. Pour cette raison également, France Télévisions piétine son rôle démocratique.
Ce faux bipartisme monté de toutes pièces permet aux deux camps d’esquiver les thèmes sociaux.