L'HUMANITE

Stanislas Carmont, rock star en mode pacha

Une énergie folle et un refus de se laisser définir par son handicap font du leader du goupe Astéréotyp­ie un artiste qui bouscule le vieux monde.

- NADÈGE DUBESSAY

Sur la scène du festival Banlieues bleues, jazz en Seine-saint-denis, il crache ses mots avec une énergie folle. Fait jongler son micro. Bondit et rebondit. L’improbable et génial Stanislas Carmont donne tout de lui, façon rock star. Face à un public électrisé, en sueur et toujours plus nombreux, il scande sans filtre ses textes singuliers, poétiques. «J’aime interagir, livrer mes émotions », explique le jeune homme de 26 ans, artiste du groupe post-punk Astéréotyp­ie – un ovni musical qui bouscule allègremen­t le vieux monde.

Depuis quelques années, les programmat­eurs d’événements culturels se disputent ce collectif né en 2010 dans un institut médico-éducatif (IME) des Hauts-de-seine. « C’est parti d’un simple atelier d’écriture, se souvient Stanislas. Et c’est devenu un groupe à part entière, indépendan­t. Il n’était pas question d’en faire un truc socio-médical. » Car l’originalit­é d’astéréotyp­ie réside aussi dans sa compositio­n : quatre artistes autistes et quatre musiciens profession­nels – dont deux issus du groupe Moriarty.

À l’origine du projet, il y a le guitariste du groupe, Christophe L’huillier, ancien éducateur spécialisé de L’IME. L’atelier d’écriture et de poésie, c’est lui. Très vite, les textes puissants couchés sur le papier par les jeunes autistes l’interpelle­nt. « On était fascinés par leur utilisatio­n des mots, les thématique­s abordées », dit-il. Le phrasé lunaire, libre, se transforme en chansons accompagné­es d’une musique déjantée, qui colle à la vitalité des auteurs. Astéréotyp­ie était né et, avec lui, un premier album.

Stanislas y signe notamment Colère, où il décrit avec rage l’humiliatio­n au quotidien de la part de ceux qui « se moquent des particular­ités de quelqu’un de différent ». Il se souvient encore de cette blessure, béante, lorsque deux jeunes femmes ont pouffé de rire en le désignant. «Sans doute à cause de ma démarche, un peu en canard. Depuis, j’essaie de faire très attention. » Pas question pour autant d’oublier qui il est. Un type « un peu autiste, un peu psychotiqu­e ».

UN TALENT ET UN CHARISME INCONTESTA­BLES

Car cette différence « crée une force en soi », revendique avec panache celui qui a connu, comme beaucoup d’enfants autistes, de longues années d’errance médicale avant que le bon diagnostic ne tombe, vers ses 8 ans. L’adolescent intelligen­t, turbulent – il se fera virer de sa classe Ulis, pour unité localisée pour l’inclusion scolaire – et quelque peu bordélique qu’il est trouve sa vraie voie à L’IME de Bourg-la-reine (Hauts-de-seine). L’écriture, puis le chant. Et enfin, la scène avec Astéréotyp­ie, mais aussi le théâtre de la compagnie du Cristal.

Et comme si ce n’était pas suffisant, Stanislas figure parmi les fidèles des Rencontres du Papotin, un magazine rédigé par une quarantain­e de journalist­es atypiques, diffusé sur France télévision­s. Ses meilleurs souvenirs ? « La venue de Dany Boon, un gars à la fois drôle et très humain, ce qui fait de lui une belle personne. » Et celle du président de la République. Devant un Emmanuel Macron bluffé et hilare, il imite Nicolas Sarkozy. Jubilatoir­e. Avec Astéréotyp­ie, c’est l’olympia, en 2018, qui lui revient d’emblée en mémoire. « Une salle mythique où sont passés tous les grands », sourit-il, la tête haute. Toute cette visibilité additionné­e à un talent et un charisme incontesta­bles lui ont permis de décrocher un rôle dans Un p’tit truc en plus, un film réalisé par l’humoriste Artus, sur les écrans le 1er mai.

« NOTRE GROUPE, C’EST LA CLÉ DE L’ACCEPTATIO­N »

Si la scène le rattrape toujours, c’est qu’elle le libère du poids de son handicap. « Sans ça, on n’est jamais reconnu comme artiste, lâche-t-il. Astéréotyp­ie, c’est la clé de l’acceptatio­n. Celle qui permet de franchir un grand pas dans la société. » Là, il laisse libre cours à son imaginatio­n, vertigineu­se. Avec Stanislas, Marie Antoinette n’a jamais été décapitée. Elle a 500 ans, peut-être même 500 000. Avec lui encore, on exige, le poing levé, le droit d’être un pacha et on peut très bien tomber éperdument amoureux d’un billet de banque. Dans le clip de la chanson 20 euros, on le voit grimé en président de la République. « Quand on s’inspire de ce qui nous passe par la tête, il n’y a pas que de l’absurde. Il y a aussi quelque chose qui fait que c’est indirectem­ent vrai. Dans 20 euros, j’explique qu’il est compliqué de créer une relation amoureuse avec une femme. Alors qu’avec un billet, la timidité n’a pas lieu d’être. »

Stanislas s’excuse. Il veut saluer son père, quelque part dans la salle. Il file sans crier gare. À la sortie du concert, le public s’arrache le troisième opus d’astéréotyp­ie au titre improbable : Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme – La vie réelle est agaçante. Une invitation totalement surréalist­e. Et profondéme­nt sincère.

 ?? JULIEN JAULIN/HANS LUCAS ?? Le 31 mars, lors du festival Banlieues bleues, jazz en Seinesaint-denis. Stanislas scande sans filtre ses textes singuliers, poétiques.
JULIEN JAULIN/HANS LUCAS Le 31 mars, lors du festival Banlieues bleues, jazz en Seinesaint-denis. Stanislas scande sans filtre ses textes singuliers, poétiques.

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