« Le droit de vote n’a pas suffi à créer les conditions de l’émancipation des femmes »
Quatre-vingts ans après l’obtention du droit de vote et d’éligibilité des femmes, la parité réelle n’a toujours pas été atteinte dans notre pays, constate la politologue Mariette Sineau.
ÉGALITÉ
Il y a quatre-vingts ans, le 21 avril 1944, une ordonnance signée par le général de Gaulle après un amendement du communiste Fernand Grenier octroyait enfin aux femmes le droit de vote en France. Mariette Sineau, coautrice du livre Femmes et République (la Documentation française) et politologue au Cevipof (centre de recherches de Sciences Po), revient sur les combats pour ce droit et les évolutions observées depuis.
Comment est-il possible que le droit de vote et d’éligibilité ait été accordé si tard en France ?
La France a été le premier pays, en 1848, à établir le suffrage universel masculin et parmi les dernières nations européennes à accorder aux femmes le droit de vote et d’éligibilité. Ce droit a été le fruit d’un long combat mené dès 1789 par les féministes. Il y a eu plusieurs occasions manquées, comme en 1848 ou après la Première Guerre mondiale, qui voit plusieurs nations européennes accorder le droit de vote aux femmes, dont l’allemagne en 1918, puis le Royaume-uni en 1928. Mais les radicaux, majoritaires au Sénat, refusent toutes les propositions de loi adoptées par la Chambre des députés visant à admettre les femmes dans la cité politique, car celles-ci voteraient « sous influence » de l’église et en faveur de la réaction royaliste. En 1936, Léon Blum s’en tient à une mesure symbolique : il fait entrer trois femmes au gouvernement, au rang de sous-secrétaires d’état.
La Seconde Guerre mondiale et la part prise par les femmes dans la Résistance constituent-elles un tournant ?
En 1944, le droit de vote des femmes ne figure même pas au programme du Conseil national de la Résistance. Ce droit fut finalement « octroyé » par ordonnance et non voté par le Parlement. Les gaullistes voyaient l’élargissement du suffrage aux femmes comme un rempart face à un possible raz-demarée communiste. C’est pourtant grâce à l’amendement du communiste Fernand Grenier que les femmes deviennent « électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
Mais existe-t-il un « vote de genre » ?
Dans l’après-guerre, les femmes sont plus nombreuses parmi les abstentionnistes et votent plus souvent à droite. Sous la IVE République, un partage d’influence s’établit entre, à droite, le MRP, d’obédience chrétienne, qui a la faveur des femmes et, à gauche, le PCF qui a celle des hommes. Sous la Ve République, on observe un vote des femmes en faveur de Charles de Gaulle, puis de Pompidou et de Giscard. À tel point que Mitterrand s’est plu à rappeler que si seuls les hommes avaient voté, il aurait été élu en 1965 et réélu en 1974. Ce n’est qu’après que les électrices votent autant à gauche que les électeurs, tout en participant autant qu’eux au scrutin. Il se produit une sorte d’alignement du vote. À la différence capitale que les femmes accordent moins souvent leur suffrage à l’extrême droite. À la présidentielle de 2002, Jeanmarie Le Pen n’aurait pas été qualifié pour le second tour si seules les électrices avaient voté. Chez les jeunes d’aujourd’hui, les femmes tendent à voter plus à gauche que les hommes, tandis que chez les seniors, elles émettent un vote plus conservateur qu’eux.
Avec 1944, les femmes ont-elles acquis leur place dans la vie politique et citoyenne ?
Elles ont longtemps peiné à être investies par les partis politiques, donc à se faire élire tant au Parlement que dans les assemblées locales. Les législatives de 1946 voient élire plus de 5 % de femmes, part ensuite réduite à 3% à celles de 1953. Sous la Ve République, les femmes connaissent une longue « traversée du désert». En 1978, leur place à l’assemblée n’atteint pas 4 %. Elles ont pourtant pour elles la force du nombre, représentant 52% des électeurs inscrits.
Et aujourd’hui ?
Le droit de vote des femmes n’a pas suffi à créer les conditions de leur émancipation. Mais les différentes lois sur la parité ont permis une grande avancée. À l’assemblée nationale, il y a 37 % de femmes députées. Et, pour la première fois de l’histoire, une femme préside cette chambre. Elles occupent désormais une place centrale dans les institutions. Toutefois, la parité numérique ne vaut pas toujours parité « qualitative ». Si le gouvernement comprend 54% de femmes, elles sont 89 % parmi les secrétaires d’état, 56 % parmi les ministres délégués et seulement 38 % parmi les ministres de plein exercice, aucune n’occupant d’ailleurs de ministère régalien. Du reste, 80% des maires sont des hommes, tout comme 80 % des présidents des conseils départementaux. La rhétorique sur l’égalité hommes-femmes se trouve donc souvent démentie par les faits.