L'HUMANITE

Le foot wallon s’enlise, les nationalis­tes marquent des points

Après Mons et La Louvière, Liège et Charleroi traversent une crise économique et sportive. Une situation qui réjouit les supporters flamands et nourrit leurs velléités séparatist­es à l’approche des élections.

- JULIEN RIEFFEL

Mercredi 1er novembre 2023. Ce soir-là, le KRC Genk, club flamand du haut de tableau de première division, reçoit Visé, modeste club wallon du troisième échelon national, en seizièmes de finale de la Coupe de Belgique de football. Le lendemain, la rencontre fait les gros titres dans les médias francophon­es du pays, non pas au regard du score logique (4-0) infligé par l’équipe locale, mais pour un énième dérapage des supporters flamands.

En cause, le chant les Wallons, c’est du caca, entonné par une partie des supporters de Genk, qui a obligé l’arbitre à interrompr­e le match quelques minutes. Ne tombant pas sous le coup de la loi, ce chant taquin mais explicite entendu pour la première fois en 2008 lors de la rencontre entre Genk et Tubize est régulièrem­ent repris face aux clubs wallons. Déjà mal en point avec des insultes racistes à l’encontre de joueurs ou des chants nazis de certains supporters du Club Bruges, le football belge doit aussi faire face à l’exportatio­n dans les stades des tensions entre Flandre et Wallonie.

C’est qu’à sept semaines des élections législativ­es fédérales, qui auront lieu le 9 juin, en même temps que les régionales et les européenne­s, les deux partis nationalis­tes flamands souhaitant la sécession de la région du nord de la Belgique ont le vent en poupe. En Flandre, le Vlaams Belang caracole en tête avec 28 % des intentions de vote. Un niveau jamais atteint jusqu’ici par l’extrême droite séparatist­e et son leader, Tom Van Grieken. Il devancerai­t ainsi le N-VA, pointé à 20 %, autre parti nationalis­te flamand.

Locomotive économique du pays, la Flandre compte parmi les régions les plus riches d’europe, avec un taux

d’emploi de 77 %, et vote à droite, très à droite. À l’inverse, la Wallonie, territoire dévasté par la désindustr­ialisation, affiche des niveaux de pauvreté supérieurs au niveau national, vote massivemen­t à gauche et se voit ainsi figurer par les séparatist­es flamands comme un boulet accroché à la cheville de leur région.

« UN MIROIR GROSSISSAN­T DE LA SOCIÉTÉ »

« Le football n’est que le miroir grossissan­t de la société, analyse Jean-michel De Waele, professeur en science politique à l’université libre de Bruxelles et grand spécialist­e du football. Tous les sondages montrent le Vlaams Belang à 30 % et la N-VA à 20 %. La majorité de la population néerlandop­hone vote pour les partis séparatist­es. Comment voudrait-on qu’il n’y ait pas dans les stades de foot cette montée du racisme et des velléités indépendan­tistes ? »

Autre corde à l’arc de ces manifestat­ions politiques en tribunes: l’affichage du drapeau flamingant, symbole du mouvement identitair­e radical flamand. Un supporter du Standard de Liège, club le plus important de Wallonie, témoigne : « Le plus marquant, c’est l’affichage de ce drapeau. Il y a dix ans, on ne le voyait que lors des matchs contre nos rivaux : à Bruges, Anvers ou Genk. Aujourd’hui, on le distingue partout, dans tous les clubs néerlandop­hones où va jouer le Standard, même les plus petits. C’est particuliè­rement inquiétant. »

Grand habitué des déplacemen­ts depuis de nombreuses années, ce fervent fan du club liégeois se souvient d’un match disputé à Ostende, ville balnéaire du nord-ouest de la Belgique, en région flamande, l’an dernier. « Avant le match, on a décidé d’aller à la plage, raconte-t-il. On était nombreux, les policiers nous ont alors chargés. J’ai entendu de la part d’un flic en civil : “Ici, ce n’est pas la Belgique, c’est la Flandre !” »

Parmi les plus populaires et les plus titrés du pays, le club du Standard de Liège et ses bouillants supporters ont longtemps été, aussi bien sur la scène nationale qu’européenne, l’étendard rayonnant de la région wallonne. Mais voilà, depuis le milieu de la décennie 2010, le club de la Cité ardente ne brille plus. Année après année, les Rouches glissent dangereuse­ment au classement. Cette saison, ils ont frôlé la relégation en deuxième division. Un exercice de plus sans trophée pour les supporters liégeois, dont le dixième et dernier titre de champion de Belgique remonte à 2009. Pire, ces dernières années, le club a changé de propriétai­re à plusieurs reprises et affiche des dettes colossales.

À moins de 100 kilomètres, le Royal Sporting Club de Charleroi, seconde équipe wallonne francophon­e présente en Division 1A (contre 10 formations flamandes, 3 bruxellois­es et une issue de la communauté germanopho­ne), dispute actuelleme­nt un minichampi­onnat composé des quatre derniers du classement. Une éventuelle relégation viendrait aggraver l’état moribond du foot francophon­e, qui a déjà perdu La Louvière, le RAEC Mons et le Royal Excel Mouscron, clubs qui évoluaient tous en première division, déclarés en faillite et disparus du jour au lendemain…

Le spectre d’une première division belge de football sans clubs wallons dans les mois ou années à venir préoccupe donc au regard de la percée des partis séparatist­es du Nord. « Cela serait utilisé comme la confirmati­on de tout ce qu’expose le mouvement ultralibér­al, conservate­ur et populiste flamand, explique Jean-michel De Waele. À savoir, les francophon­es ne savent pas gérer, ce sont des chômeurs, des fainéants, des incompéten­ts… Le discours s’apparente à celui que tient l’italie du Nord envers l’italie du Sud. »

Au même titre que Naples, Liège et Charleroi sont deux clubs identitair­es forts, enracinés dans leur ville, leur région et leur histoire industriel­le. En témoigne le gigantesqu­e haut-fourneau B d’ougrée, qui se dresse toujours à quelques pas du stade Maurice-dufrasne, « l’enfer de Sclessin », qui héberge le Standard. Mis définitive­ment à l’arrêt en octobre 2011, il incarne désormais la fin de la sidérurgie à chaud dans le bassin liégeois. Quant à Charleroi, « le surnom de l’équipe, les Zèbres, est une référence aux traces noires sur la peau des mineurs quand ils remontaien­t des galeries. Le Sporting est la plus belle vitrine de la ville », précise fièrement Karim Chaïbaï, adjoint aux sports de la commune.

« La disparitio­n des clubs wallons de l’élite belge serait un tremblemen­t de terre symbolique d’une très grande ampleur, souligne Jean-michel De Waele. Cela serait une perte de confiance en soi supplément­aire pour la Wallonie, ça renforcera­it alors la dépréciati­on qu’une partie de la population du sud du pays a envers elle-même. Le mouvement nationalis­te flamand, lui, boirait du petit-lait d’une telle situation, c’est certain… »

« Le plus marquant, c’est l’affichage du drapeau flamingant.

Aujourd’hui, on le distingue dans tous les clubs néerlandop­hones

où va jouer le Standard de Liège. »

UN SUPPORTER DU STANDARD DE LIÈGE

Autrice associée au Théâtre national de Strasbourg du temps de Stanislas Nordey, aujourd’hui associée aux Amandiers de Nanterre, Claudine Galea compte une oeuvre protéiform­e. Qu’elle écrive des romans, des oeuvres pour le théâtre ou la jeunesse, sa langue ne cesse de se réinventer, de chercher des formes, de s’aventurer hors des sentiers battus. Son écriture dessine des cercles concentriq­ues qui unissent intime et universel. Rencontre avec une autrice attentive au monde, à l’humanité.

Laëtitia Guédon, qui met en scène Trois fois Ulysse, dit que vous avez accepté « d’entrer dans le grand poumon lyrique » de la tragédie. C’est-à-dire ?

Je parle d’un lyrisme fracassé, pas de celui de la tragédie telle qu’on l’écrivait il y a plusieurs siècles. Ce n’est plus possible. D’abord parce qu’il n’y a plus de transcenda­nce, parce que mon écriture a sa propre logique, sa propre cohérence et, en relisant l’odyssée, que j’ai relu dans trois traduction­s différente­s pour pouvoir l’appréhende­r autrement, ce qui m’a sauté aux yeux, c’est la guerre, les massacres, l’épopée d’un héros qui n’a cessé de saccager le monde. Dès lors, il fallait que la poétique, terme que je préfère au lyrisme, soit brisée. Il y a beaucoup d’humour dans ce que j’ai écrit, inséparabl­e de la distance nécessaire que j’éprouve avec ce grand mythe.

On a l’habitude de vous lire dans des monologues, des dialogues intérieurs très intimes. Ici, vous explorez le chant, l’histoire, le poème… C’était une sorte de défi ?

C’était un vrai questionne­ment. Pendant six mois, j’ai lu, je me suis laissé imprégner et je savais que je trouverais ce que j’avais à raconter dès lors qu’ulysse m’apparaîtra­it autrement. Un jour, j’ai compris qu’il cheminait vers sa mort. Cette vulnérabil­ité me l’a rendu touchant, humain. Quant aux femmes, Calypso et Pénélope sont très peu présentes dans l’odyssée. Pénélope n’a droit qu’à quelques lignes ; on ne dit rien sur Calypso, qui pourtant partage sa vie pendant sept ans avec Ulysse. Ce que vit Hécube est d’une violence inouïe. Elle apparaît à peine dans l’iliade, ses six enfants sont morts assassinés. Tous m’apparaisse­nt comme des fantômes... On a toujours regardé Ulysse uniquement sous l’angle du héros, du surhomme, du vainqueur. Que pouvaient ressentir ces figures féminines ? On n’a jamais pris le temps de les regarder...

 ?? SHUTTERSTO­CK/SIPA ?? Heule, le 14 avril. Pour la 2e journée de la phase de maintien, les Kerels (en rouge) du KV Kortrijk (Courtrai) reçoivent les Zèbres (en noir) du Sporting Charleroi, menacé de relégation.
SHUTTERSTO­CK/SIPA Heule, le 14 avril. Pour la 2e journée de la phase de maintien, les Kerels (en rouge) du KV Kortrijk (Courtrai) reçoivent les Zèbres (en noir) du Sporting Charleroi, menacé de relégation.
 ?? RAYNAUD DE LAGE ?? « Chez Homère, les femmes ne sont que des faire-valoir d’ulysse. Elles n’ont ni sentiment, ni émotion, ni destin, ni futur et tout tourne autour de lui. Or, ce sont elles qui m’intéressen­t. »
RAYNAUD DE LAGE « Chez Homère, les femmes ne sont que des faire-valoir d’ulysse. Elles n’ont ni sentiment, ni émotion, ni destin, ni futur et tout tourne autour de lui. Or, ce sont elles qui m’intéressen­t. »

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