L'HUMANITE

Sara Montpetit, cinéma sur fond vert

Révélation du film Vampire humaniste, sorti en salles le 20 mars, l’actrice québécoise de 23 ans était, au lycée, une figure du mouvement climat à Montréal et de la « génération Greta Thunberg ».

- CYPRIEN CADDEO

Àl’écran, elle campe Sasha, une ado vampire incapable de mordre les gens, la faute à un trop-plein d’empathie, qui s’entiche d’un garçon dépressif. Un personnage génial, au coeur du moteur comique de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, comédie québécoise cinq étoiles en salles depuis le 20 mars. Sara Montpetit y promène ses faux airs de Winona Ryder et joue le surnaturel avec un naturel désarmant. « Sasha est un personnage que j’ai adoré jouer, confie-t-elle. Elle ne se renie pas, même si elle est très angoissée. Moi aussi, comme tous les jeunes de mon âge. »

La crise environnem­entale trône en haut de la pile. L’actrice de 23 ans, originaire de Montréal, a été une des jeunes figures lycéennes du mouvement climat au Québec, entre 2018 et 2019. Des photos de presse de l’époque la montrent arrimée à son mégaphone, en tête de cortège.

Tout commence en 2018 par une discussion entre amis, dans un parc. Un copain affirme qu’il ne fera pas d’enfant dans ce monde pollué, en passe d’être de moins en moins vivable. « Ça m’a travaillée, ça s’est transformé en angoisse, en colère, se souvient-elle. Comment ça se fait qu’on en soit rendu à ce qu’à 16-17 ans, on puisse déjà répondre à cette question ? C’est injuste. » Au même moment, de l’autre côté de l’atlantique, à Stockholm, Greta Thunberg invite les jeunesses du monde à la grève scolaire face à des gouverneme­nts climato-à la ramasse. Sara Montpetit répond à l’appel.

Le mouvement Pour le futur Montréal est né, multiplian­t les manifestat­ions, n’hésitant pas à camper devant les portes du premier ministre québécois. « Une année intensive», qui culmine le 27 septembre 2019, avec un rassemblem­ent monstre de plus de 500 000 personnes, à Montréal, auquel elle participe.

« IL FAUT ÊTRE UTOPIQUE, IL NE NOUS RESTE QUE ÇA »

Hypersolli­citée par les médias, qui lui octroient un rôle de porte-parole qu’elle n’a pas demandé, l’adolescent­e s’épuise vite. «On individual­isait trop le mouvement, au lieu de mettre l’accent sur le collectif. J’ai eu un burn-out militant. Je n’avais que 17 ans et j’avais tout le temps des entrevues dans la presse, j’organisais les trajets des manifestat­ions… Je n’avais plus de vie. » Alors elle arrête. « Je ne milite plus, je me sentirais un imposteur de prétendre être une militante à l’heure actuelle », prévient-elle. Quand elle regarde en arrière, elle soupire face à un Canada qui échoue à toutes ses promesses de décarbonat­ion, mais retient le meilleur : «On nous critiquait parce qu’on manquait l’école, mais on s’est éduqués en marchant dans les rues. C’était une école populaire. » Puis lâche cette phrase, qui encapsule si bien le sentiment de sa génération : « Il faut être utopique, il ne nous reste que ça. »

Plus tard sont venus les premiers coups de téléphone, les castings réussis. Un saut d’un monde à l’autre, qui la déstabilis­e parfois. « Il y a sans doute des articles où je dis que je ne prendrai jamais l’avion. Malheureus­ement, je le prends beaucoup. Mais je ne m’attendais pas à ça, à faire du cinéma, réfléchit-elle à haute voix. On va me dire que ma parole ne vaut plus rien parce que j’ai pris l’avion. Je crois que c’est un problème beaucoup plus large que l’individu en lui-même.» En attendant «d’articuler de manière saine» ses conviction­s et son métier, un sujet qui la travaille, elle profite à fond.

LE VERTIGE DES POSSIBLES, LE BALLET DES QUESTIONNE­MENTS

Fille de danseurs de tango (sa mère est d’origine argentine), la jeune femme, qui a toujours fait du théâtre et dévoré du cinéma, une passion héritée de son père, dit avoir grandi « entourée d’une effervesce­nce créatrice ». Enfant, comme ses parents n’ont pas les moyens de se payer une baby-sitter, elle les suit dans leurs soirées d’artistes et dort sur un coin de canapé.

Elle enchaîne désormais les premiers rôles et scrute le parcours de réalisatri­ces comme Justine Triet ou Monia Chokri, sur qui pleuvent les récompense­s. Sans être toutefois du genre à « idolâtrer », à part peut-être ce réalisateu­r avec qui elle rêve de tourner et dont elle hésite à donner le nom, de peur de se porter la poisse, avant de céder: « Wim Wenders. Je suis en amour pour son travail. »

C’est l’aube d’une carrière, le vertige des possibles, le ballet des questionne­ments. Tourner hors du Québec, en France par exemple ? Elle y songe. Mais il leur faudrait abandonner son accent québécois, bêtement raillé dans nos contrées. « C’est un vrai débat à l’intérieur de moi, sourit-elle. Je ne veux me fermer la porte d’aucun rôle, et c’est sûr que j’ai du mal à passer pour une Parisienne du 16e arrondisse­ment ! En même temps, l’accent fait partie de notre culture, de notre corps, c’est important que ça ne disparaiss­e pas. » Carrière, conviction­s, conviction­s, carrière. Toujours cette équation. Sara Montpetit n’a pas fini de s’interroger et d’interroger le monde. Actrice humaniste cherche cinéma qui l’est autant.

 ?? JULIEN JAULIN/HANSLUCAS ?? « On nous critiquait parce qu’on manquait des cours, mais on s’est éduqués en marchant dans les rues. C’était une école populaire. »
JULIEN JAULIN/HANSLUCAS « On nous critiquait parce qu’on manquait des cours, mais on s’est éduqués en marchant dans les rues. C’était une école populaire. »

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