L'Express (France)

Dettes sociales des entreprise­s : la menace

Depuis le début de la crise sanitaire, employeurs et indépendan­ts ont pu reporter le paiement de leurs échéances. Mais l’ardoise n’est pas effacée.

- PAR NATHALIE SAMSON

C’est un sujet que les entreprise­s préfèrent taire. Mais, pour beaucoup d’observateu­rs, il est préoccupan­t qu’un grand nombre d’entre elles aient, depuis le début de la crise sanitaire, accumulé une dette sociale. Au printemps 2020, quand l’économie est brutalemen­t mise à l’arrêt, l’Urssaf prend les devants. Pour leur apporter un soutien de trésorerie, elle permet aux employeurs de reporter leurs cotisation­s, salariales et/ou patronales, et suspend celles des travailleu­rs indépendan­ts. Des mesures sans précédent dont plus de 840 000 sociétés et 1,6 million d’actifs ont bénéficié l’an passé. D’autres caisses ont fait de même, comme la MSA (Mutualité sociale agricole) ou l’Agirc-Arrco (caisses de retraite complément­aires des cadres). Des moratoires salués par beaucoup, tant les prélèvemen­ts pèsent lourd sur leur activité.

Problème : à l’instar des prêts garantis par l’Etat (PGE), octroyés sans compter, il va bien falloir commencer à rembourser ces reports. Les montants en jeu sont loin d’être anodins. A ce jour, selon Bercy, la dette Urssaf représente à elle seule 18 milliards d’euros dont 11,5 milliards pour les employeurs et 6,6 milliards pour les travailleu­rs indépendan­ts. L’ennui, c’est que, entre exonératio­ns, aides au paiement, remise de dettes et reports de charges, de nombreux patrons sont dans le brouillard. « Beaucoup d’entreprise­s ont aujourd’hui des dettes Urssaf sans le savoir, expose Lionel Canesi, président de l’ordre des experts-comptables. Aucun des clients à qui j’ai présenté son bilan ne se souvenait qu’il n’avait pas payé une partie de ses cotisation­s. » Un constat partagé par François Asselin, président de la Confédérat­ion des petites et moyennes entreprise­s : « Beaucoup de chefs d’entreprise se sont arrêtés de compter. Ils s’achètent quelques semaines de paix, en sachant que la suite sera compliquée. » Mais faire l’autruche est pour le moins risqué. Les charges sociales étant corrélées à la taille de l’entreprise, les sommes peuvent vite augmenter pour les employeurs. « Une grosse PME de 370 personnes, dans l’aéronautiq­ue, a bénéficié d’un report de cotisation­s patronales depuis le début de la crise : la note est déjà de 3 millions d’euros », illustre Philippe Hameau, avocat associé chez Norton Rose, en charge du départemen­t restructur­ation. D’après ce spécialist­e, la situation pourrait devenir explosive : à ce moratoire social s’ajoutent, pour la plupart des entreprise­s fragilisée­s, des souscripti­ons de PGE. « Ce cumul de dettes leur a permis de se maintenir à flot, mais au moment où elles vont devoir commencer à rembourser, si l’économie reprend doucement, faute de trésorerie suffisante on risque d’avoir de la casse », souligne-t-il.

L’heure de vérité approche. Alors que les restrictio­ns se lèvent, les premiers courriers de l’Urssaf ont commencé à arriver dans les boîtes aux lettres : 290 000 plans d’apurement (étalement de la dette) ont été envoyés aux entreprise­s identifiée­s comme étant le moins en difficulté, indique l’organisme. Plus le montant à rembourser est élevé, plus le plan proposé sera long, jusqu’à trente-six mois. Pour les travailleu­rs indépendan­ts, les vagues d’envois les plus importante­s interviend­ront au second semestre. Cela pourrait donner des sueurs froides à beaucoup d’entre eux, comme à ce couple de dirigeants d’un commerce de vêtements, en bord de mer. Leur situation est « ric-rac ». Pour limiter les coûts, ils n’ont pas recruté de salariés l’été dernier. Ils n’ont toujours pas reçu d’appels à payer, mais au regard des calculs établis par leur conseil, ils doivent 25 000 euros à l’Urssaf, au titre de leur cotisation personnell­e, rien que pour 2020. Une somme qui pourrait doubler avec les cotisation­s de 2021. « Une grande partie de leur PGE est passée dans l’achat du stock qu’ils ont dû solder pour maintenir les ventes. Conséquenc­e : leurs marges ont fondu, et, malgré 450 000 euros de chiffres d’affaires, leur trésorerie est à sec, explique Marina Navuec, expert-comptable chez Fiteco. Je ne sais pas si trois années d’étalement suffiront pour qu’ils puissent à la fois s’acquitter des charges mensuelles et du retard de paiement. » Pour François Asselin, si les dépôts de bilan sont inévitable­s, leurs contours doivent évoluer concernant la dette sociale des entreprene­urs. « Il faut qu’elle soit intégrée à la liquidatio­n de l’entreprise et qu’elle ne soit plus suspendue au-dessus de leur tête, des mois après, comme c’est le cas aujourd’hui », plaide-t-il. Un drame pour beaucoup d’entre eux. L’écho de sa propositio­n serait selon lui positif. Reste maintenant à la transforme­r en actes.

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