Le nouvel âge de l’entreprise
PUISSANTE ET FRAGILE, L’ENTREPRISE EN DÉMOCRATIE
PAR DOMINIQUE ET ALAIN SCHNAPPER. ODILE JACOB, 256 P., 22,90 €.
Les discours sur l’entreprise sont multiples et contradictoires. Pour les uns, elle est la clef de voûte de la société moderne, le lieu où se crée la richesse et où se socialise une grande majorité de la population ; pour les autres, elle signifie exploitation des salariés, enrichissement abusif d’une minorité et, de plus en plus, pollution et dégâts sur l’environnement. Dans cette confusion d’opinions, la publication du dernier livre en date de la sociologue Dominique Schnapper, associée à son fils, Alain, ingénieur de formation, est particulièrement bienvenue. Intitulé Puissante et fragile, l’entreprise en démocratie, leur ouvrage déroule une histoire parallèle de l’Etat et de la notion d’entreprise. Une notion moins évidente qu’on ne pourrait le croire, car, selon eux, si on en parle souvent, on en donne rarement une définition.
L’économie de l’Etat féodal fonctionnait avec une myriade de paysans et d’artisans auxquels s’ajoutaient quelques commerçants qui s’associaient pour des périodes courtes et pour des objectifs restreints. On ne pouvait alors pas vraiment parler d’« entreprise ». Celle-ci va émerger avec la révolution industrielle du xixe siècle. Ce dernier est celui du libéralisme, à la fois sous sa forme politique, avec l’instauration du parlementarisme, et économique, avec la généralisation, dans le monde des affaires, de la société anonyme.
Au xxe siècle, avec l’Etat social-démocrate s’installent le salariat et l’Etat-providence, tandis que le développement des entreprises repose de moins en moins sur des sagas familiales et de plus en plus sur des managers issus de formations ad hoc. Etouffé progressivement par la montée des prélèvements obligatoires, l’Etat social-démocrate a cédé la place dans plusieurs pays à un Etat néolibéral et à un monde de l’entreprise obsédé par ses résultats financiers de court terme.
Pour Dominique et Alain Schnapper, nous entrons aujourd’hui dans une phase nouvelle qui va pousser l’entreprise à se réinventer. En ce début de xxie siècle, l’Etat se structure désormais autour de ce qu’ils appellent la « démocratie extrême ». Celle-ci se caractérise par un individualisme forcené et par une certaine perte de sens qui conduisent à confondre licence et liberté, d’une part, égalitarisme et égalité, d’autre part. Dans ce contexte, l’entreprise va évidemment se réorganiser, autour notamment du télétravail et de l’ubérisation. Erudit et bien mené, le livre se lit agréablement. On en sort avec un incontestable sentiment d’enrichissement intellectuel, même si sa modération dans le ton comme dans les idées avancées peut parfois laisser le lecteur sur sa faim.